Chaque pas est unique

Chaque pas est unique, il passe, marque le sable de son empreinte puis s’efface devant le pas suivant, le pas disparait, il n’était que de passage, c’était un pas sage. J’aime le sable pour sa texture, sa souplesse, sa tendresse, sa sculpture, il garde la trace du pas sage de passage, il se creuse, il l’épouse, il s’affiche, il s’en fiche, il la garde, lové au creux de lui jusque ce qu’une vague divague et s’en vienne effacer la trace de cet amour construit dans le sable. Bien sûr, de tout ça, le pas s’en fout, parti ailleurs, un passant fou, foulant le sable, traçant sa route à petit pas, emportant avec lui ses pas, accrochant quelques grains de sables, disparaissant à l’horizon, oubliant déjà qu’ici ses pas sont passés, un passant sans passé, un passant, ses pas séparés d’à peine une enjambée, ses pas creusés dans le sable humide, ses pas effacés par la vague humide, ses pas comblés par le sable mouillé, ses pas se suivent sans vraiment se ressembler, sans jamais se rassembler, chaque pas est unique, chaque pas passe et s’efface, ici tu marches sans traces, ici tout s’efface et moi j’aime cette plage.

C’est rien un pas, c’est tout un pas, c’est rien du tout, c’est un pas, pas si simple, pourtant un pas c’est simple, et même si parfois un pas c’est composé, tout dépend la musique, tout dépend le tempo, tout dépend l’envie de se laisser prendre, de se laisser chavirer, de se laisser entrainer par les flots des sons et des émotions, aujourd’hui la plage est vide, la page est vide, le sable mouillé et le ciel d’été. Moi le sable je l’aime, parce qu’il sait être gris et heureux, parce qu’il sait être ocre un soleil couchant, parce qu’il sait se dorer au soleil sans brûler, enfin, pas tout à fait, mais c’est juste parce que mes pieds sont trop blancs et trop urbanisés. Après tout, je n’avais qu’à rester chez moi et trainer mes pas dans mon quartier plutôt que de prendre mes quartiers ici et de venir trainer mes guêtres par ici, après tout je n’avais qu’à garder mes tongs plutôt que de vouloir impunément caresser le sable chaud du bout de mes pas.

Pourtant j’aime ça, ce sable doux, ce sable chaud, ce sable qui sent bon l’océan, l’iode et les fleurs d’écume, j’aime le sentir épouser mes pas, lui coller aux basques, s’accrocher comme pour retenir chacun de mes pas, mais mes pas sont têtus, ils n’en font qu’à leur tête, et s’ils aiment être caressés entre les orteils par ce sable si fin, ils n’aiment pas être entravés, encore moins s’enliser, à vrai dire ils ne tiennent pas en place, autant dire qu’ils ne tiennent pas en plage. Mes pieds aiment leurs pas, de vrais gamins, ils partent en courses insensées, ils courent, virent, se posent et rêvent de s’envoler, ils sont heureux de ne pas battre le pavé mais d’enfoncer le sable d’une marque familière, de dessiner une empreinte qu’efface déjà la vague qui suit, et après chaque pas, se pointe une nouvelle vague, un combat régulièrement perdu mais c’est peut-être ça au fond la nouvelle vague.

Mais mes pas m’enfoncent un peu plus vers l’inconnu, cette plage est immense et il n’y a personne, à trop regarder le sable et les vagues, je ne reconnais plus ces vagues tas de sables qu’on appelle des dunes, je suis perdu au milieu d’une immensité, sans cité, sans bruit, juste celui régulier de l’océan, je marche sans savoir si mes pas me suivent ou si c’est moi qui suit mes pas. Suis-je mes pas ? Mes pas sont à moi c’est sûr pourtant ici ils s’échappent, ils partent droit devant eux je crois avoir compris leur jeu : l’un d’eux se projette crânement en avant, mais l’autre ne veut pas être en reste alors il le passe, le dépasse et s’enfonce un peu plus loin et comme des fous furieux, ils poursuivent et relancent cette danse sans transe, oubliant toute notion, n’écoutant que leur propre rythme, ils font la course mais comme ils sont malins, ils effacent aussi toute trace derrière eux, et si je ne veux pas me perdre ben je suis bien obligé de les suivre, même si mes pas sont moi, je les suis et leurs suis très reconnaissant.


Car au fond ils m’entrainent et à vrai dire, ils me font marcher, mais comme je ne suis pas fou, j’essaie de les guider sur la grève, refusant qu’ils m’entrainent vers le fond de l’océan, marcher je veux bien mais nager je ne sais pas, j’aurais tout aussi bien pu rester les doigts de pieds en éventails, après tout, mes pieds ne sont pas palmés. Chaque pas est unique, il avance puis disparait, il dessine puis efface, il s’efface à dessein… Uniquement.

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