Travers

Enfin s’avançait devant lui la pénombre de la forêt, et avec elle, la fraicheur bienfaisante dans laquelle plongeait le sentier. Depuis l’aube, le parcours n’était que montée raide et parcours rocailleux chauffés à blanc dans ce jour sans vent et l’étape du jour n’était qu’une étape de plus dans un jour de plus, qu’une étape de moins à faire dans un itinéraire établi ou presque. Itinérance en errance, marcher sur ce sentier de grande randonnée traversant les Pyrénées dans leurs grandes longueurs, il avait choisi de quitter le couchant pour le levant, tout comme la lune quitte le soleil couchant pour partir embrasser le soleil levant. Lunatique, non, pratique, oui, mieux vaut marcher le soleil derrière soi en fin de parcours, et puis, la force de l’océan comme impulsion de départ ne pouvait que le doper. Les mots sont parfois trompeurs, « grande randonnée » pourrait traduire un idée de facilité, un aspect « grand itinéraire » une presque autoroute, mais si le balisage rouge et blanc était impeccable, le parcours était digne des montagnes russes, prenant la direction d’un sommet, plongeant bien bas dans la vallée, pratique pour les ravitaillements, plus durs seront les mollets.


Rouge et blanc. Deux traits horizontaux superposés. Sa mémoire lui rappela cette explication de jeunesse : les pieds en sang, la tête dans les nuages. Rouge et blanc, comme les couleurs d’un pays basque s’ajoutant au vert des prairies, tenues de fête ou bien façades des maisons du littoral, ce sont aussi et surtout des couleurs d’énergies et de pureté. L’initiative de cette randonnée était tout autant sinon plus de se retrouver face à soi que d’accomplir un quelconque exploit sportif. Comme souvent, la réponse à l’exercice était dans l’oxygène et le mieux-être, il n’est pas besoin de mal-être pour vouloir se sentir mieux, pour rechercher sa paix profonde en s’abreuvant aux sources des énergies, une pause qui s’impose sans attendre un quelconque trop tard. Depuis combien de jours marchait-il déjà ? Il ne le savait plus, il ne comptait pas, marchant selon son rythme, parfois plus que ce qu’il ne pensait, parfois moins, l’avantage ne n’être pas attendu c’est d’être tout à fait libre de ses mouvements, jusque dans leurs absences.


Il continua quelques instants dans la forêt avant de poser son sac près d’un ruisseau chantant, endroit enchanté frais et reposant, histoire de se dégourdir un peu les épaules, manger un bout et reprendre quelques forces. Le poids du sac devenait une habitude, ce vieux compagnon de route grinçant parfois des bretelles dans les montées trop raides lui collait littéralement au corps depuis si longtemps qu’il ne pouvait se résigner à l’abandonner pour un autre. Ce coup-ci, il était chargé ras-la-gueule, jusqu’à la toile de tente sanglée dessous, les rehausses toutes déployées, les coutures tirées à leur maximum, encore fallait y faire un peu de place lors des étapes en vallée pour loger quelques provisions de route. C’est là un des paradoxes de cette randonnée, faire les descentes le sac allégé pour gravir les sommets le sac bien plus lourd… Il apprenait ainsi à chaque étape en bas, à chaque marché, à n’acheter que l’essentiel, à ne s’alourdir qu’au minimum, c’est en avançant qu’on apprend à s’alléger et à se contenter d’un minimum, belle leçon de vie. Apprendre à se désencombrer de l’inutile et du presque inutile parfois même du pas très utile. Cadeaux offerts à des randonneurs à la journée croisés, à des bergers visités dans leurs estives, à quelques infortunés survivant dans ces villages traversés.  A-t-on besoin de deux chapeaux ? De tant de luxe en tant d’objets, tous ces grammes finissent par s’unir en kilo contre soi. Faut-il aimer la vie pour se lancer pareil défi ? Faut-il se vaincre soi pour l’accepter ?



Bien sûr, quelquefois les étapes sont longues et pesantes, sans croiser personne à qui parler, se sentant seul au milieu de ce nulle part si peuplé d’espèces végétales et animales, ce sont ces moments-là qui restent les plus forts, tant la plus grande peur ancrée chez l’homme reste sa solitude profonde, comme si la raison de vivre n’était qu’une raison plurielle ne trouvant pas sa singularité dans son singulier. Parfois il se languissait des nouvelles d’en bas, là-bas, des nouvelles des siens, des nouvelles des amis, et si l’occasion d’accomplir quelques pas à plusieurs le tentait bien, il était bien difficile de s’organiser lorsqu’on vit sans calendrier, sans horaire ni étapes précises. Aller au bout, au bout du bout, voir l’autre bout de ces montagnes plonger dans les eaux claires de la méditerranée après en avoir connu les estives les plus reculées, les derniers glaciers et les bouts de sentiers trop fréquentés. Aller au bout, au bout debout, au bout de soi, apprendre à se connaitre, à repousser ses limites, à se consacrer pleinement son temps, à bien vouloir s’écouter, se motiver, se relever de défi en défi, il est des jours où chaque pas devenait un défi, parce que la fatigue, parce que la montée, parce que le ras-le-bol, mais ces jours-là apprennent la patience et l’espoir, le dépassement d’un soi trop confortable dans une quête du soi improbable. Ces jours-là sont durs mais ils sont sûrs, sûrs d’enseigner, sûrs de réconforter, peut-être pas aujourd’hui mais dès demain, parce que cela sera fait, parce qu’il y a toujours un demain, parce que bien souvent si les présents déchantent les lendemains enchantent.            

2 commentaires:

Anonyme a dit…

J'adore

Nat

Anonyme a dit…

Seul face aux difficultés de la nature pour aller au plus loin de soi même .se surpasser .se motiver .s aimer et être capable de le réaliser et d en sortir heureux .d avoir réussi malgré les difficultés .
C est une leçon de vie .une image .qui représente bien