Mais
où sont passés nos clochards d’antan ? Ces chemineaux non cheminots qu’on
croisait à toute heure du jour, d’un bout à l’autre de la ville, marchant,
cheminant, mendiant quelques pièces de monnaies qui finissaient souvent en
litron de jaja, vin rouge de table n’ayant pas la folie des grandeurs à se
parer d’une bouteille de soixante-quinze centilitres digne des meilleurs
bordeaux mais s’affichait crânement en bouteille d’un litre parfois étoilé,
parfois même de six étoiles gage de reprise du contenant en échange de la
consigne…. C’est qu’ils savaient cela les bougres, fouillant les poubelles d’un
temps où le recyclage était élémentaire et réparti en un seul et même contenant,
ne prenant que les fameuses bouteilles à six étoiles, parfois quelques restes alimentaires,
quelques déchets de ferrailles ou autres détritus monnayable. Tout travail
mérite salaire et c’est à leur façon qu’ils bossaient pour gagner leurs
pitances bien plus qu’une quête oisive et malpolie comme on connait que de trop
aujourd’hui.
Ils
avaient choisi de vivre autrement, mais surtout, ils vivaient debout, marchant
de long en large sur un territoire très étendu, je les voyais le matin près de
chez nous, puis le temps de quelques achats en plein centre-ville, nous les
voyons dans un square où sur bout de trottoir plus huppé. Ils avaient tous des
noms, des quolibets, des surnoms, « Popol », « bencale »,
« gnafron » mais je crains que l’imagerie populaire n’est pris ces
noms dans le terreau fertile de son imagination bien plus que dans les livres
bien calligraphiés de l’état civil. Mine de rien, ce petit monde était notre
monde, un monde sans frontière, sans barrière, où tout circulait librement, les
graines, les plantes, les recettes, les bouts de ferrailles, les peaux de
lapin, les mots, les phrases, les discours, les bonjours, les échanges, les
cultures aussi. La ville cosmopolite n’était pas encore atteinte de sa gangrène
raciste, une terre d’accueil où les expatriés trouvaient l’espoir d’une
nouvelle patrie. Si trente-six résonne encore en congés payés et front
populaire pour bon nombre de français, il résonne bien plus comme une exode, la
fuite d’un régime et l’installation en France de bon nombre d’espagnols. De
quoi enrichir nos plats, nos cuisines et goûter aux accents différents, aux
mots perdus entre dialectes cousins, français, occitan, castillan, catalan, les
racines profondes de ces arbres apatrides trouvaient là même terroir et même
eau pour grandir et mélanger leurs branches. Les années passent, les peuples
circulent, populations de l’est, puis les années soixante et les crises
d’indépendance, populations plus orientales bien que plus sudistes finalement.
De ce melting-pot, je n’ai que des souvenirs d’enfance soyeux et joyeux. Mes grands-parents vivaient en immeuble, de
ces fameux HLM sentant bon la peinture fraiche, l’urine des caves et les odeurs
épicées des cuisines du monde. Ce n’était que trésors de gourmandise et de
gentillesse, les mémés espagnoles, portugaises, algériennes, marocaines, tunisiennes,
polonaises ne savaient pas comment nous faire le plus plaisir, les goûters, les
boissons, les joujoux à quelques centimes, les mots, simples, affectueux,
puissants, sonnaient en mille accents comme des tornades de gentillesse.
J’aimais beaucoup aussi une presque voisine bohémienne, vivant dans sa roulotte
de bois à jamais immobiliser, cet habitat atypique me faisait rêver par ses
couleurs, son charme et la magie de ses quatre roues de bois.
C’était
cela mon Toulouse d’antan, sans peur, où même l’autant n’avait pas le dernier mot,
obligé bien malgré lui d’être à bout de souffle. Les clés restaient pendues à
un quelconque trousseau dans l’entrée, le portail, la porte ouverte, les
visiteurs passaient pour négocier des chaises à rempailler, quelques bidons
métalliques à désencombrer, ils servaient surtout à faire écouter les enfants,
la promesse d’être vendu au « peillarot » ou bien encore à ces gitans
pas encore rom, tziganes ou autres suffisait à nous faire finir notre assiette
ou nos devoirs, de quoi en sourire bien fort aujourd’hui…. Le
« peillarot » c’était un personnage, digne d’un autre temps, le vieux
tombereau au bois autrefois peint en bleu mais dont on désespérait d’en voir
quelques lambeaux de peinture encore survivante attelé à un cheval de trait et
d’âge avancé était son bien le plus précieux. Dedans, mille trésors : des
vieilles peaux, des bouts de bois ,des bouts de fers, des bouts de ficelles, un
vrai ramassis de ramassage, le tout bien gardé par cet être dont l’eau courante
devait courir encore bien loin devant, aux vêtements tenant bien plus par les
rapiéçages que par les morceaux de tissus eux-mêmes mais à la gouaille bien
forte pour annoncer de l’autre bout du chemin ou presque son arrivée…de quoi
prendre ses jambes à son cou et filer se cacher au mieux derrière les jupes de
ma mère. Tout ce joyeux petit monde vivait de ces commerces basés sur la
récupération, le troc, l’échange, la revente, hors du temps, des taxes et
autres tva, hors des trente-cinq heures, des congés et des microbes. Des vies
entières de labeur sans calcul, sans retraite, sans calcul de retraite, dans un
temps qui au fond n’est pas si loin… Quoi ? Comment ???
Non
mais !
1 commentaire:
Ce n est plus du tout le même genre de clochard ....et maintenant ce n est plus les portes ouvertes .... Il est loin ce temps en fin de compte . Comme on voit que tout s est dégrade .maintenant les gens se barricadent .ferment la porte . Vol par ci vol par la .. ... Les mentalités ont changé . ..et pourtant ce n est pas si loin mais ça permet ne éternité . Ça fait du bien de s y plonger à nouveau . Ça fait peur et ça fait réfléchir . Lequel est mieux ? A méditer .
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