Bonne route

Un soir d’été, au milieu de nulle part, de ces soirs si calmes, si apaisant où la fraicheur d’une nuit tombante venait faire du bien après une journée surchauffée, le lent combat du frais contre le chaud, de la nuit sur le jour, victoires par abandon pourrait-on dire. Quelques pas au hasard parmi ces paysages si connu, quelques pas au hasard d’une vie usée dont il semble que l’essentiel des contours ont été parcourus, quelques pas et puis l’envie de se poser, de se reposer. A jamais. S’asseoir sur ce rocher et contempler les vagues. Elles sont comme les êtres qui peuplent nos vies : elles viennent tonitruantes, gorgées d’énergies et l’écume aux lèvres, elles vous mordent, elles mouillent, puis s’effacent, disparaissent parfois en rugissant, et vous laisse toujours seul, fatigué, trempé et trompé par ces rencontres fortuites, par ces passages répétés, par ces flots qui usent et déchirent un peu plus chaque jour.

Assis sur le rocher, les pieds pétris par les vagues, le vague à l’âme et l’esprit qui divague, dit « vagues » et consent, dix vagues inconscientes, dix vagues inconstantes, dealers d’écumes contre douleurs de dunes, ras le bol. Il arrive parfois qu’on ne supporte plus la suite des épreuves venant nous faire grandir. Soit disant grandir. Il arrive parfois qu’on n’avance plus, que mettre un pied devant l’autre ne suffit plus à avancer, les pieds s’entremêlent, la chute est inévitable et l’usure fait que l’envie de se relever n’est plus. Oublié, balayé, envolé, le passé n’est plus, le présent lourd et sombre, normal, il fait nuit. Que fait-il là, assis sur ce rocher, les pieds détrempées par les flots, le regard hagard perdu dans un horizon qui n’inspire rien de bon ? Que fait-il ici, après des années de routes, de fausses routes, de mauvaises routes, de demi tours, de détours, de parcours, de secours, à imaginer partir au long cours, tout plaquer, sans rien emporter, disparaitre dans l’identité vraie, quitter celle d’ici, usée, détachée et donc détachable et si cela reste détestable, le voilà détesté. Partir et non fuir. Fuir, c’est s’opposer à quelque chose, à quelqu’un, s’en éloigner pour vaincre, mais non, il ne veut pas combattre, il ne veut plus combattre, fuir, non, jamais. Partir, oui. Partir, c’est aller au bout de sa route, prendre une route pour, poursuivre une quête, avancer et exister ailleurs, et même si l’identité d’ici se meurt, demain, il sera quelqu’un d’autre ailleurs, sans que ce quelqu’un d’autre soit nécessairement quelqu’un, juste exister, vivre, être. Ailleurs.

Les lumières d’un bateau au large dessinent la course lente d’une étoile volant aux ras des flots. D’autres vies, d’autres destins, d’autres partances, d’autres errances. Sont-ils heureux ces êtres perdus entre deux mondes, ces objets de vie naviguant entre deux eaux, les flots parfois tempétueux de l’océan et l’au-delà, ce diable d’au-delà dont on parle tant sans vraiment le connaitre, d’ailleurs, peut-on le connaitre et être là pour en parler ? C’est étrange comme ces lumières errantes s’en viennent accrocher le regard au point de faire oublier les cogitations en cours. L’être humain reste attirer par ce qui brille et il a peur du noir. Les pensées étaient pourtant ancrées à des rêves d’ailleurs, à des bris d’ici, de ces débris de vie, mais il a suffi d’une lumière quelconque dont il ne saura jamais rien pour s’extirper de ses voyages en solitaire vers l’ailleurs et retrouver la douleur d’un rocher trop dur sous les fesses et d’une eau trop fraiche pour ses pieds, retrouver aussi le sens actuels de ses pensées, cette vie qui n’en plus une, cette ombre noire planant sur des heures sombres, ce refus de poursuivre une vie sans envie et sans vie.


Ce soir, la nuit l’a emporté. Combat sans combat, victoire trop facile sur un jour déclinant, pas de quoi afficher une lune pleine, juste un semblant de croissant, juste un parcours sans détours dans les méandres d’une nuit. Ce soir, il est là, et ce soir-là, il est las, particulièrement las. Encore quelques pas, encore quelques rêves sur la grève, le vent frais et chargé d’humidité poisseuse n’est pas le meilleur des réconforts, tant pis. Ce soir, il regarde ses vagues amies emporter dans leurs courses de vagues amis partis vers des ailleurs étincelant. Sans doute. Nul doute. Bonne route. 

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonne route a cette vague que l on contemple .a venir se frotter à nos jambes a laver le sable et repart au fond de la mer .ainsi va la vie comme une vague . Elle va elle part elle revient . Je dirais dans les mots crus . Naissance ,perte a petit feu et renaissance ..