Voile de conscience


Il y a comme une magie dans ces paysages d’automne, lorsque la brume envahit la lande, estompant les contours trop familiers de ces repères de lieu, lorsque le givre des premières gelées s’en vient enrubanner les brins d’herbe pour éclater en crissement de tendresse à chacun de nos pas. Le vent s’était enfin posé durant la nuit, cessant de secouer les chênes et d’en faire choir les glands dans un bruit de mitraille se mêlant au martèlement des pluies incessantes de ces derniers jours. Il s’était levé très tôt, avant même le soleil, bien visible en cette aube claire, les rayons timides jouaient avec la brume, faisant des paysages connus un théâtre d’ombres chinoises. A voir ainsi le jour se lever tandis qu’il achevait son petit déjeuner lui donna l’envie de s’en aller se dégourdir les jambes et, ni une ni deux, il rassembla quelques affaires dans son sac, quelques aliments, de l’eau, s’habilla et se mit en route, direction ce point magnétique où les montagnes rencontre l’océan. La période était la plus propice, les hordes de touristes avaient déserté le littoral, la vie semblait s’être mise en harmonie avec le calendrier des vacances scolaires, seules quelques maisons allumaient l’aube de leurs fenêtres éclairées. Les sonnailles trahissaient le réveil des troupeaux tandis que l’humidité de l’air excellait les parfums de la terre. Le froid était vif, avec cette étrangeté qui le fait sentir plus vif au fil des heures du jour naissant, comme si le combat entre le gel de la nuit et la chaleur solaire restait à l’avantage des glaçons.

Premiers pas, à travers cette lande, spectacle quasi féérique, où le ciel et l’eau, la roche et la lande, le relief et les vagues se confondaient dans une même palette de coton gris. Les oiseaux criaient leur joies de jouer ainsi à cache-cache entre les éléments, les vagues mugissaient plus fortement comme pour en chasser la brume qui leur collait à l’écume tandis que les buissons d’ajoncs fleuris s’éveillaient sans bruits, juste révélaient-ils par l’aide de l’humidité nocturne, des pièges de toile fine savamment tissés par des armées d’arachnoïdes en quête de pitance. Premiers pas surement ce matin sur ce sentier, le village disparaissait derrière, peu à peu la brume éteignit les lumières trop artificielle, peu à peu la brume l’enveloppa, comme pour mieux l’isoler des choses des hommes, comme pour mieux lui offrir la nature et ouvrir son esprit à ce qui est plus que tout notre monde. Le brouillard est un être triste, quasi maléfique, la brume est une fée qui sait jouer les muses en gommant les murs qui contraignent que de trop les neurones. Comment était-ce avant ? Ces paysages sans humains, cette lande dévorant à foison l’espace, juste limitée par la roche des montagnes et par l’eau de l’océan, un désert de végétation, une lande sans fin, une chose somme toute étourdissante. Car sans l’homme, point de chemin, pas même de sentier, peut-être quelques sentes animales.  Mais si la promenade est aujourd’hui possible et facilement accessible, c’est bien par ce travail effectué, par ces barrières posées, par ces zones aménagées, par ces repères en couleurs traçant les parcours, et même si certains n’en comprennent pas le sens, et même si certains jouent à masquer, à détruire peut-être parce qu’inconscient du rôle de chacun, ici et là.


Il s’arrêta un instant contempler ces couches de gris d’où jaillissaient ces sons, souriant à ce juste équilibre d’être ici, seul à profiter de l’instant tout en étant au cœur des réalisations humaines, proche de ces communautés dont on ne perce jamais les liens mais qui œuvre dans l’ombre de notre conscience pour qu’un quidam comme lui, puisse par un matin éteint profiter de ce coin de nature en toute assurance. Il reprit la marche, le sentier grimpait plus fort désormais, il se rappelait bien cette montée, la barrière de bois, les buissons taillés, la vue sur la baie, enfin, pas encore, mais est-ce parce qu’il se rapprochait du ciel et du soleil qu’il semblait y voir plus clair ou bien est-ce la montée trop rude pour la brume qui la faisait s’époumoner ? Le voilà ce moment délicieux, cet instant quasi de grâce où d’un coup le voile se déchire et révèle aux yeux présents et ouverts le spectacle du monde. Saisissant. Rien que pour ce moment-là, être là, être venu, avoir marché dans le froid du matin, ne pas avoir attendu que le jour soit plus haut. Etre là et en être heureux, parce que la communion nait de ces charmes opérant, parce que le monde ne se révèle qu’à ceux qui veulent bien le voir, sans forcer personne, sans contrainte, juste un rendez-vous intemporel, une émotion qui nait de la croisée de deux mondes, celui de la nature dans ses phases de vies, celui de l’homme qui s’offre ce luxe gratuit de vivre et ressentir les choses au plus près de leurs berceaux. De ce moment magique, il sut que désormais, la journée sera belle, et qu’après ce jour, d’autres jours et d’autres émotions viendront réveiller en lui la magie de cet instant présent. 

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