Lettre ouverte à un grand bonhomme. Et oui, bientôt tu
vas avoir dix-huit ans, tu vas être majeur, le monde t’appartient, tu vas
pouvoir enfin faire ce que tu veux, comme tu veux, quand tu le voudras, finis
les ordres des adultes, tu seras enfin un adulte. Enfin, ce n’est pas si simple
mon grand. D’abord parce que majorité ne rime pas avec adulte, ni en vers, ni
contre tous, certaines personnes ne réussissent jamais à être adulte, quand
bien même elles vivent très vieilles, d’autres au contraire, n’attendrons pas d’avoir
deux chiffres à leur âge pour déjà être adulte. C’est dur la vie quand ça donne
des leçons. Toi, tu vis dans un monde où la terre est bien ronde, où l’argent
même sans couler à flot arrive par les petites rivières des parents, des grands
parents, des voisins, des amis, de la famille et, c’est bien connu, les petits
ruisseaux font les grandes rivières, et toi, tu navigues sur ce fleuve. Un
sourire, à peine charmeur, un presque claquement des doigts, et voilà, l’argent
est là, un blouson, des chaussures, un portable, des jeux, le code, le permis…
Comment t’en vouloir ? Le système actuel est ainsi, tu t’en sers sans le
savoir et en tout cas sans réaliser combien il y a eu de peines, d’efforts, pour
que naissent ces ruisseaux qui t’abreuvent. Il fut un temps où l’on disait :
« tout travail mérite salaire » désormais on devrait dire « tout
salaire mérite travail » car au fond, que fais-tu en retour pour ces
personnes qui t’alimentent ?
Bien sûr, il y a les copains, les jeux en lignes,
internet, ces jeux vidéo, bref, un autre ordre de priorité, ton ordre, tes
priorités. Dans ces presque dix-huit ans, j’ai grandi à tes côtés, j’ai été là,
souvent, très souvent même, un rôle à part, une complicité à part. Aujourd’hui,
nos chemins se séparent, je ne t’apprends rien, non que je n’ai plus rien à t’apprendre,
mais juste que tu n’es plus disponible pour apprendre, tu traverses une phase
de l’adolescence où l’on croit tout savoir, où l’on croit avoir tout compris,
où l’on croit être grand, adulte. C’est ton
chemin, ton parcours, ta vie. La mienne est plutôt derrière moi, et je
te regarde t’éloigner, pire, je te sers de taxi pour mieux t’éloigner. Des gens
que tu quittes, il y a des visages que je connais trop bien, une lumière sur
des actes de mon passé que je lis aujourd’hui à travers tes gestes. Papy n’exprime
rien, un presque sourire de bonne figure, un masque qui cache la douleur de l’incompréhension,
surtout lorsqu’elle devient mutuelle. Mamie s’enfonce un peu plus dans le
triste, la fatigue et cesse de combattre face à ses douleurs. Elle accuse le
coup, elle sombre, elle est sombre et humide de pleurs. Cette mamie qui te
pleure, cette mamie que tu ignores par complexe de supériorité face aux temps,
prends garde mon grand que ce ne soit pas là ses derniers instants, parce que
pleurer en portant des fleurs à une tombe froide n’effacera jamais le loupé du
présent. Cette femme, elle t’a nourri, elle t’a bercé, elle t’a torché bien
plus que ta propre mère, cela, ne l’oublie jamais. Ce grand-père, il en a fait
des kilomètres pour toi, des bricoles, des choses immenses pour que ta vie te paraisse
douce, joyeuse, et brillante. Peut-être aussi, parce que la première génération
de ses enfants, sa propre chair, il devait écumer les routes, faire des
journées de travail à rallonge pour que vive les siens, cela, ne l'oublie jamais. Tu vois mon petit gars,
ça, je l’ai compris que très tard, parce que je mangeais la viande dans mon
assiette sans voir qu’il ne restait que des légumes pour mes parents.
Parce que j’ai compris la valeur d’un franc bien avant qu’on ne joue en euros,
parce que le poids des charges se mesure en agios et en découverts certains
mois de l’année, j’aimerai être assez fort pour arriver à ce que tu réalises
cela. Bien sûr, nous avions la chance de vivre avant internet, avant les
portables, avant les fringues à la mode dont les prix à trois chiffres valent
des quatre chiffres de nos francs. Bien sûr tu vis dans un monde ingrat et
difficile, mais tu as des mains et surtout des cœurs autour de toi prêt à te
venir en aide, en conseils, pour t’aider à mettre la lumière sur tes zones d’ombres,
mais là où je ne pourrais jamais te comprendre, c’est dans la souffrance que tu
laisses grandir chez les tiens, surtout lorsqu’ils sont miens.
Voilà, parce que te parler devient dur, parce que tu
préfères des écouteurs au fond des oreilles et le son à fond, parce que tu te
coupes toi-même du monde, je t’écris, peut-être me liras-tu, peut-être pas,
peut-être le feras-tu un jour où il sera trop tard, pour les miens, pour moi
mais pas pour toi, parce que si ce jour-là tu cherches à comprendre, les larmes
qui sortiront de tes yeux auront comme couleur l’amour d’une mamie amoureuse de
toi comme de personne d’autre, les larmes d’un papy trop fier pour te les
montrer et pourtant, si tremblant d’émotion de de peines, les larmes d’un
parrain qui aura essayé, au moins essayé, de te tenir la main.
Voilà, cette
main est partie… Bon vent…
1 commentaire:
Majorité et maturité ......
Un chiffre qui ne veut rien dire mais qui est d une importance fondamentale pour un adolescent .
Liberté de quoi ? De rien si il est conscient que sans ces ancêtres il ne serait pas en vie .
Texte très passionnant et qui relève beaucoup de tristesse et hélas beaucoup de réalité dans beaucoup de famille . Que l adolescent veut prouver qu il existe et qu il puisse se débrouiller seul .
Un jour il comprendra .
Merci didier
Cath
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