Un coin de montagne


Etrange nuit, peuplée de rêves, défilés d’images, dans toute la puissance de l’imaginaire avec toutefois ce lien dans la réalité, ces visages familiers, ces paysages connus, un mélange si détonnant où pourtant tout s’enchaine et se construit si bien, et même mieux, un vrai délire dont il se réveille apaisé, tranquille et serein, amusé de ce drôle de film. Le soleil brillait déjà sur les montagnes face à la maison, il brillait chaud et fort au point de l’aveugler lorsqu’il ouvrit les lourds volets de bois, loin derrière l’épaisse muraille qui séparait la fenêtre de sa protection de bois. Cette épaisseur l’avait toujours amusée, enfant, il aimait à s’y asseoir pour dévorer livres et bandes dessinés. Combien sont-ils, ces héros de papier, venus peupler ce lieu sans même peut-être le savoir ?

Il s’étira face aux paysages riants sous le feu d’un matin plutôt pas mal entamé, comme il faisait bon cueillir ainsi l’énergie, la sentir circuler, progresser, parcourir tout le corps, comme il faisait doux de se sentir léger, détaché, libre et vivant. Il adorait cette maison, vieille ferme de pierre construite en toute utilité, fonctionnelle et minimaliste selon l’architecture des gens de peu, des gens du terroir : Le bas dédié aux bêtes, et là, cette ferme trahissait une condition déjà riche pour le pays, puisqu’elle possédait étable, bergerie, porcherie et lapinières, tandis que l’étage se résumait à trois pièces, la principale, qui dans un vocabulaire actuel se nommerait « pièce de vie » un association entre cuisine et séjour, une seconde pièce servant de « pièce de nuit », vaste salle carrée, peuplée de deux grand lits puis une souillarde, cette sorte d’antichambre entre le monde d’en bas et le monde d’en haut, juchée au dessus du fond d’étable, des stalles des veaux dont elle était reliée par une échelle de bois jouant aux escaliers. C’était là que les vêtements du dehors étaient autrefois entreposés, les sabots, les ficelles, ce qui n’est pas utile dans la maison, ce qui sera utile pour dehors. Au dessus de l’habitat, un vaste grenier, une charpente vivante et vibrante de courbes pleines et déliées, d’un temps où la menuiserie n’était pas encore industrielle, d’un temps où les arbres ne poussaient pas tous droit. Ce qu’on appelle ici des rames, troncs de noisetiers droits et alignés entre deux poutres, servaient à faire sécher, maïs, haricots et autres plantes gardées ici pour reproduire le cycle de la vie d’avant les hybridations : une graine devient une plante qui fournit d’autres graines dont certaines seront consommées et les autres semées pour le cycle suivant. Un grenier peuplé de courants d’air, glissant sous les tuiles, passant entre les voliges tordues et non aboutées, de ci, de là des fougères sèches essayaient d’assurer une sorte d’étanchéité, en pure perte. Tout le côté de l’habitat était une vaste grange, plateau de stockage des maigres fourrages qui par un jeu d’astucieuses trappes dans le sol venaient remplir les râteliers des bovins. Tout cela, c’était avant, quelques vestiges avaient servi de témoins au moment de la transition, au moment où ses parents avaient acheté cette presque ruine, cette pas tout à fait ruine. Des heures et des heures de boulot, des litres de sueurs, des matériaux plus tard et cette ferme était devenue résidence secondaire au confort minimum mais si dépaysant, si enrichissant parce qu’au fond, il ramenait aux valeurs simples de la vie, c’est peut-être pour cela qu’il avait toujours aimé cet endroit. Et tant pis s’il fallait franchir deux marches pour quitter la souillarde devenu sa chambre et rentrer dans le logis, et tant pis si les toilettes étaient à l’extérieur, et tant pis si la salle de bain était sur le balcon, c’était cela aussi qui faisait le charme de ce vieux vaisseau de pierre de mille huit cent soixante dix comme l’affichait fièrement sa façade.

Le printemps était dans la force de l’âge lui aussi, mais il savait se lever chaque jour un peu plus tôt, se coucher chaque jour un peu plus tard, parfumant les belles soirées de ces odeurs de foin qui enivrent, tandis que les roses grimpaient le long des treilles savamment tressées le long du balcon et de la grange. Le petit déjeuner sera déjeuner aujourd’hui, une solide collation pour prendre des forces, sur la vieille table de ferme au soleil de cette grange devenue salle de spectacle sur la nature. Ces haies de noisetiers, ces prés qui l’un après l’autre, espace clos après espace clos, gravissent les pentes avant d’atteindre la forêt, tant de pas, tant de courses, bien moins nobles que de longues randonnées mais si belles et si agréables que bientôt cela sera le programme du jour, un parcours sans but, si ce n’est d’aller voir là-haut si la source murmure toujours, si les chemins sont encore accessibles, si les bois n’ont pas trop soufferts des derniers gros coups de vents trop vite joués en tempêtes. Voir la vie dans ses formes naturelles, croiser peut-être le chevreuil ou le cerf, marcher sans but précis si ce n’est précisément de marcher et de vivre. 

Toujours.

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