Pluies océanes


Pour bien connaitre un endroit, pour bien connaitre un ami, il faut avec lui traverser mille étapes, mille temps, il faut avoir mis le temps de côté pour vivre pleinement l’endroit, pour connaitre toutes les facettes, voir briller sa vérité jusqu’en des gouttes de pluies. Aujourd’hui, de ce côté-là, nous voilà servi ! L’océan est gris mais non triste, il fait le gros dos et se moque de ces gouttes de pluies tombant en rafale qui ne le mouillent pas, seul peut-être le sable se fait plus collant, l’air de dire « s’il te plait, amène-moi au sec ». Bien sûr, il n’y a personne, qui serait assez fou pour s’en aller sur la plage un jour de novembre où la pluie tombe en trombe ? Un fou ? Peut-être, mais la folie n’est-elle pas la vie ? Un grain de folie pour mettre un peu de piment, d’Espelette bien sûr, dans la vie, ou plus simplement, un amoureux de ce coin de terre, un ami de l’océan, un assoiffé de nature et d’embruns, tel était l’homme qui marchait en ce jour de pluie.

La tête coiffée d’un béret, traditionnelle coiffe de nos montagnes, étrange assemblage d’un brin de laine roulé, puis foulé qui vivait aux intempéries en servant tout autant de pare soleil que de parapluie, matière naturelle laissant respirer le cuir chevelu ou bien, comme aujourd’hui, en gardant le poil au sec, le corps au chaud dans la parka étanche, il marchait sur ces chemins déserts, avant de gravir la dune puis de s’approcher des rouleaux d’écumes, attirant comme des aimants. L’instant d’un week-end, une pause qui se pose naturellement au plus près des éléments, dans ce coin de terre-ci, si familier et si étranger, si enrichissant, parce qu’ici les énergies ne sont pas fortuites, qu’elles y sont gratuites, qu’il y fait bon s’en nourrir, quel que soit le temps, qu’il fasse rire et chant, soleil et chaleur, qu’il fasse pleur et froid, pluies et pluies. La saison était passée depuis quelques semaines et la plage si propre hier était jonchée déjà de bois, de bout de filet, de bidons, tout ce que la tempête avait su y raccrocher. Il se dirigea vers un tronc et s’assis face aux éléments, le visage détendu et souriant devant tant de force, tant d’immensité, tant de tumultes dans un calme parfait, une belle leçon encore de dame nature. C’est devant tout ce spectacle sans limite que l’on mesure le mieux la futilité des choses, des choses dites comme des choses non dites, des envies de tout arrêter comme de la folie de poursuivre, un juste retour des choses, oui, c’était bien cela. Tant de temps avait passé depuis les derniers voyages ici, tant d’épisodes, d’épreuves, qu’il est bon de pouvoir y venir aujourd’hui, pour des retrouvailles, vivantes et vivifiantes, une perfusion de vie qui s’en vient irriguer les veines et nourrir la vie de vies, d’énergies, apaiser les angoisses, panser les blessures, soulager les peines. Comment pourrait-il ne pas venir et revenir ici, comment pourrait-il s’en éloigner à jamais ?

Magie du cycle des marées, la voilà qui remonte et la pluie comme effrayée s’éteint, laissant un sable humide, des pins tristes dégoulinant de pleurs à chaque aiguille, des oyats gardant tête basse devant ce ciel bas et gris. Le gris de l’océan répondant au gris des nuages, mais si le premier sait garder ses reflets vert tout en se parant d’ocre à l’approche de la plage, les cieux jouent en palette de gris clair en gris foncé, mais au fond, le bleu semble vouloir déchirer ce gris trop clair, trop fin. Les oiseaux de mer ou plutôt d’océan restent à l’abri dans les grands bassins de décantation, utilisation naturelle des constructions humaines, c’est assez surprenant de voir ces oiseaux blanc sur l’eau sombre et immobile, c’est aussi l’occasion de les voir de près. L’homme était devenu un oiseau posé, assis sur son perchoir de bois flotté, il regardait l’horizon sans bateau, puis les limites qu’offrait aujourd’hui le paysage : au sud, la brume en fermait le regard, une ligne diffuse entre océan et ciel, tandis qu’au nord, l’entrée du bord, la jetée, dentelle de bois posée sur l’eau, les bâtiments dessinant la côte, fermée par ce grand cube de briques rouges pour sportifs en phase de reconstruction, il en sourit en songeant que là-bas on soignait les corps tandis qu’ici, l’océan soignait les têtes… Il est vrai que les soins commencent par la déconnection, le relâchement, le détachement, l’apaisement que ces lieux de nature ne peuvent qu’apporter, instants si puissant qu’ils savent prendre le pas sur les futilités de notre monde, sur l’inutile en rapprochant le corps de l’esprit, en recentrant les choses sur leur juste équilibre, ce juste équilibre qu’il nous manque parfois de retrouver, par manque de temps ou mauvais priorité.

Le ciel s’assombrissait en venant d’Espagne, la lumière baissait les l’humidité de l’air semblait retrouver du mordant. Il était temps de rentrer, des pas lourds sur le sable lourd, il n’était jamais agréable de quitter cette endroit, tout comme il n’est jamais agréable de se séparer, si les joies sont aux retrouvailles, le cœur se serre lorsqu’il se sépare…

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