Quelques pas dans la montagne


Quelques pas dans la montagne, quelque part dans la montagne, sans chercher l’ivresse des sommets, ni la haute montagne, non, juste marcher, respire, voir, s’émouvoir, opérer ce changement tant bénéfique qui consiste à vider ses neurones et à remplir ses mirettes, qui consiste aussi à cracher ses poumons, enfin, plutôt à expulser un air trop vicié coincé dedans pour aspirer à grandes lapées cet air frais et pur même si c’est en faisant de petites enjambées. Au fond, c’était juste cela ses courses, qu’elles soient en solitaire ou bien en groupe, qu’elles soient tranquilles ou bien un peu plus sportives, il parcourait ainsi le monde, son monde, celui-là juste au bout de ses pas. Depuis combien de temps marchait-il ainsi ? Peut-être bien depuis toujours, ce toujours qui nait avec les premiers pas, et ses premiers pas, c’est ici, au cœur des Pyrénées majestueuses, dans ces Hautes-Pyrénées qu’il les avait faits. Cauterets, Gavarnie, des lieux qui resteront à jamais magique parce qu’à jamais associés aux premières souffrances des premiers pas. Ces pas premiers qui génèrent tant d’effort à acquérir la posture verticale à grand coup de maladresses, ces premiers pas qui génèrent tant de sourires et d’applaudissement des ces adultes qui décidément ont du oublier combien il n’était pas facile de couvrir de la distance ainsi érigé. C’est qui se croiraient drôles en plus de reculer au fur et à mesure que l’on approche du but, négligeant l’effort surbambin de ce pas après l’autre. Tout cela le faisait sourire en revenant dans le film de son enfance tout droit sorti des ses souvenirs, juste parce qu’il était revenu ici, sur ce grand chemin qui monte vers le fond du cirque de Gavarnie. Comment ne pas être émerveillé par cette muraille si impressionnante et dont la nature, n’en déplaise à Roland, à Durandal et aux chansons de gestes, avait ébréché la roche d’une dent de moins donnant toute caractéristique au lieu. Comment ne pas retomber en enfance devant le défilé paisible des ânes portant les promeneurs ? Comment ne pas s’émouvoir du chant du Gave de Pau qui essaie de répondre en écho au grondement de la grande cascade ? Comment ne pas s’émerveiller de voir ces magnifiques sapins, droits, résistant aux vents, aux aiguilles plates, si riche de vert bien plus majestueux que celui du jardin familial ? Tout ici n’était qu’énergies, joies et sourires, parce que l’enfant y a gratté ses premiers genoux à trop tomber, l’adulte qui y revient aujourd’hui voit ses yeux s’embuer de douce mélancolie.

Sac sur le dos, chaussures hautes, c’était pour ainsi dire sa seconde peau, tant de fois habillé ainsi et à vrai dire, bien plus à l’aise que dans les déguisements de villes de son autre vie, celle de la semaine, aux courses moins poétiques, aux files interminables de voitures plus ou mien alignées le long des axes routiers. Là, il était lui, le béret vissé sur la tête, les pensées légères, il quittait la piste large pour attaquer la grimpette en direction du refuge, il quittait aussi la foule pour le début de l’échappée solitaire, l’échappée belle… Quelques pas sur ce sentier en lacet, et déjà les mètres de dénivelé s’empilaient, le voilà dans une prairie coincée entre rochers et sapins, entre délicats colchiques et mousses gorgées d’eau. Le refuge semblait en équilibre sur le bord du rocher, petit, frêle mais…loin…encore loin. Rien ne sert de courir, il faut savoir partir à point, marcher, un pas après l’autre, s’élever sans s’enivrer de ces fausses ivresses, voir, goûter à la fois des paysages et de la texture du sol sous les souliers, lire dans la nature les traces anciennes, celles des hommes, celles des animaux, celles de la flore qui vient faire pousser ici une bruyère, là un champignon et puis, juste après ce lacet, trouver enfin la bifurcation, celle qui part sur la droite, tout droit vers la paroi lisse. Serait-ce un piège ? Une impasse ? Non, au fur et à mesure des pas, le sentier oblique vers la gauche, la paroi s’ouvre et se dégage, laissant place à une autre paroi qu’on dirait décorée pour l’occasion, de multiples petites fleurs émergeant des mousses accrochées on ne sait comment à la roche.

Il est parfois des surprises belles lorsqu’on quitte le droit chemin. Certes, la course est la même si on n’en retient que le point de départ et celui d’arrivée, mais au lieu du chemin monotone qui embarque les hommes et les ânes vers le cirque, ce sentier en balcon ajoute bien plus de rythmes et de couleurs et ne dévoile le but qu’au dernier moment. C’est là une leçon de la vie : il faut savoir quitter les chemins tout tracés pour redonner à sa vie un sens, le sens. Quitter les rails, c’est se mettre en danger, se mettre aux aguets, raviver ses sens et prendre conscience de tant de choses qui existent mais restent invisibles vues de l’autoroute, trop de bonheurs devant lesquels on passe si près tout en étant si lointain parce que fermé, parce qu’aveugle de trop voir, de trop connaitre, de trop savoir où l’on est. Chercher sa route, c’est la trouver bien plus que lorsqu’on glisse sur les rails des indifférences.

Aujourd’hui, ici, dans ce lien du présent ayant avivé son passé, il sait qu’il a trouvé sa voie, quand bien même chacun de ses pas n’aura jamais l’assurance d’un parcours sans difficulté.

Aujourd’hui, ici, il vit.    

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