Amen

J’ai tant fui le bonheur que le bonheur est parti. Tant mieux, il est d’ailleurs mieux ailleurs et nous ne sommes pas compatibles. La vie bien en face derrière des verres teintés, et si le regard est teint, et si le regard éteint vogue sur l’horizon déplumé des landes désolantes, ce n’est que répit de l’âme, repos du corps, pause dans la vie de l’homme. Après ces vies de transhumances, après ces bouts de vies déchirées en plus ou moins gros lambeaux, la mémoire classe et chasse les souvenirs, le corps se vide de ses sens sans perdre son sang, il n’est pas question d’abandon mais de reconstruction. Une étape de la vie où se mesurent le parcours, les amours, les choix, les stratégies et les envies, au double décimètre de ce qu’on appelle la maturité. Quelques vieux disques égrènent les notes, toutes ces croches qui accrochent des souvenirs, des lieux, des gens, des odeurs, fausse nostalgie, sans tristesse, juste l’émotion et la gorge qui se serre en pensant à ces êtres chers qui ont partagé bien des moments de joies et accompagnés des tristesses, des pages d’hier aux douces couleurs de miels dorées qui ont donné des pages actuelles d’amitiés bien réelles, de cette chaleur offerte à l’entrée d’un cimetière où mémé venait reposer quand d’autres miels devenus fiels depuis ont su briller par leur absence. Merci à toi. Avant-hier fut doux et fort, hier dur et pénible mais aujourd’hui brillant….. J’ai connu les échanges, puissants, complices, fort et sans malices, les lits de douleurs où l’on voit la mort durcir les traits pour qu’en d’horribles grimaces l’âme s’envole en de mauvais paradis. J’ai vu ces anges toute de blanc vêtues, qui en d’infinis sourires savent accompagner le patient, la famille ou l’ami venu croiser le regard d’impuissance du temps qui se mesure à coup de gouttes perfusantes. J’ai compris la valeur des choses, de la vie, j’ai compris que ma voie royale n’était qu’une impasse, je me suis même demandé si j’avais su m’accorder le droit à l’erreur. J’ai croisé bien des destins le temps d’un verre, d’un café, d’un repas, j’ai prolongé le débat en débat, parfois en ébat, un parcours initiatique à la recherche de moi, une envie d’exister dans un modèle de vie, un trop grand calcul pour ce qui n’est qu’une petite vie. J’ai connu la passion, j’ai connu la raison, j’ai connu l’amour, j’ai connu l’amitié, j’ai connu quelques facettes moins glorieuses de l’existence, les perfides trahisons, les coups de poignards, les silences qui tuent bien plus que des mots, les folies dont on ne rigole pas, les maladies qui ne se guérissent pas, j’ai connu les chagrins, les déclins, les remises à zéro qui n’en sont jamais, les cicatrices qui restent indélébiles, les douleurs qui se sont muées en peurs, j’ai connu les fous rires et l’abime des grands vides, j’ai marché sur des sentiers escarpés, j’ai poussé encore plus loin mes limites, j’ai disparu dans ma propre existence, dans une soif de vie tout comme le noyé remontant à la surface à soif et faim d’oxygène. Je suis sans attente, je vis, je prends, je goutte, je retiens mais pour retenir il faut que les deux mains se ferment l’un dans l’autre, pas uniquement que sa main se ferme sur des doigts qui glissent et disparaissent. Je ne suis pas jaloux des bonheurs des autres, ils me font plaisir pour eux, je ne suis pas envieux, je suis en vie, encore étonné par le vol d’un papillon à la cime des lavandes graciles qui ondulent au vent léger, je suis encore empli de sourire devant le combat inutile des enfants bâtissant des murs de sables pour arrêter les vagues, je reste ébloui par les associations de mots qui donnent de la couleur aux textes de mes troubadours préférés, Bénabar, Renan Luce, Grand Corps Malade, Rose, et bien avant eux, Brel, Brassens, Ferré, Renaud ou encore Cabrel, je goute à mon Occitanie dans toute son étendue, entre Italie, Espagne et océan, je traverse mes paysages dans la magie que le regard veut bien y trouver, un arbre solitaire sur un grand champ de blé, un nuage à la forme étrange et familière, je photographie le monde de mes yeux bien plus que de mon appareil, je poursuis mon existence et si demain vient l’heure du bilan, même s’il paraitra trop vide sur le plan de la génétique, je sais surtout que j’aurais vécu, que mes chois resterons mes choix, que les regrets n’ont jamais servi à rien d’autre que regretter, que toute cette foule de personnages qui ont accompagné mes pas resteront pour la plupart au fond de moi, même ceux qui ont apporté de l’acidité, car si le blanc n’existe, ce n’est que pour mieux contrer le noir, si la douceur existe c’est pour calmer la cuisante blessure, si le miel adoucit c’est pour contrer l’amertume, et si la vie est pleine de contradictions, ce n’est que parce que l’expression nait de l’opposition des choses, de là nait la discussion, le débat, sans cela, à même idée, on ne sait dire qu’amen à tout. Et si je vis, ce n’est pas pour dire amen…..

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Très beau texte encore et encore.

"Le lendemain s'instruit aux leçons de la veille."
Proverbe de Publilius Syrus ; Sentences - Ier s. av. J.-C.

FM

Didier a dit…

merci.... On a tant et tant à apprendre....