Repos, en paix

Y-a-t’ il eut un cri ? Y-a-t’ il eut un bruit ? Une détonation ? Personne ne sait mais tout le monde parle, la foule se presse devant cet océan glouton où l’homme est tombé. Les foules, ça a soif de sang, surtout du sang des autres, de ces autres lointains qui ne sont pas de leur monde. La foule, c’est un vampire qui vous suce le sang jusqu’à la moelle, elle s’agite, elle cri, elle s’indigne, après tout elle a raison, pourquoi n’y-a-t’ il pas de garde-corps devant l’océan ? Et puis, c’est qui, c’est quoi cet homme au juste, personne ne le connait, mais tout le monde l’a déjà vu, marchant ici, assis là, pas bouger, coucher, au pied, un quidam sans âme, un étranger de leur monde, un oubli du temps qu’on oublie de voir, question d’habitude.

L’homme a plongé, seul, il parait, de son plein gré, ça, c’est que cherche à élucider les enquêteurs…. Son corps n’est pas là, on a bien cherché, enfin, on a regardé, ici, là, vers les rochers, mais rien, ce n’est pas grave, l’océan le recrachera d’ici quelques jours, c’est toujours comme ça qu’il fait. Au fond, l’océan, ça vous avale un homme mais ça ne le digère pas bien, alors il le recrache un peu plus loin. On verra bien. Il n’a pas laissé de chaussures, il n’a pas laissé de ceinture, il n’a pas laissé ses blessures, non, rien, pas même une lettre, pas même un mot pour dire quoi ? A qui ? Bizarre quand même… Personne n’a rien vu, tout le monde sait, il était grand, il était moyen, il était blanc, il était noir, il portait un manteau, il était torse nu, il était comme il fut.

Quel homme étrange. Un être comme il en existe plein, parfait inconnu aux yeux des gens trop connus, parfait quidam pour les êtres d’un monde à la dérive. Un homme seul, comme un clown qui a fini de faire rire, d’ailleurs, faire rire ne le faisait plus vraiment rire, il avait fait le tour de ses tours, quant aux tours de piste, il avait l’impression d’y tourner en rond. Ce soir la tête était plus grise, plus lourde, c’était un jour comme un jour de trop. Ce soir, c’était un samedi comme un lundi, un dimanche comme un mardi, les jours n’avaient plus d’importance depuis longtemps, les semaines ressemblaient aux semaines, paires, impaires et manque à chaque coup. Les mois pesaient les mêmes poids lourds que les poids de l’ennui. Ce soir il a ouvert les cages, il a regardé s’envoler les poissons dorés, il a regardé s’éloigner les deux fauves comme s’ils partaient faire un simple tour, puis il a fermé à double tour la roulotte de bois, les volets clos sur l’armoire aux maigres souvenirs, la perruque aux cheveux rouges, le miroir aux maquillages, le nez rouge posé dans le vieux cendrier. Pas même un baluchon, pas même un bouquin, juste lui et ses blessures, juste lui et puis rien….

Quelques pas malhabiles et nonchalants vers l’océan noir et froid. Les dernières images, les draps que l’on tire sur un lit froid le matin lorsque la nuit vous a happé sur le vieux canapé, quelques pas qui ne se froissent plus de plaisirs, quelques draps qui ne saignent plus, des objets à histoires, encore faudrait-il qu’ils parlent pour vous raconter, quelques joies, quelques soupirs, et le froid déjà froid. Il avance sûr de lui, sur le sable humide et tremblant, il n’entend que les vagues qui lui disent : « allez viens ! » …. La suite, personne ne sait, un coup de feu, un plouf sourd, un cri, un silence, l’océan efface les marges du temps, les marges d’un monde qui n’aime pas ceux qui écrivent dans la marge. Peut-être a-t’ il écrit sur le sable, peut-être a-t’ il laissé un message aux coquillages « je n’ai rien à déclarer, laisser-moi disparaitre de vos frêles mémoires, ne cherchez pas à comprendre, ce n’est pas aujourd’hui qu’il faut commencer, on ne lit jamais une histoire en commençant par la fin, fut-elle une vie… » Y-a-t’ il eut un cri ? Y-a-t’ il eut un bruit ? Une détonation ? Personne ne sait mais tout le monde parle, la foule se presse devant cet océan glouton où l’homme est tombé.




« Elle n’est pas drôle ton histoire ! » « Je sais, la vie vois-tu, ce n’est pas toujours drôle, de temps en temps, elle aime bien se faire oublier, disparaitre dans le grand océan des anonymes, tout comme on sait l’oublier certains soir de rire, alors oui, c’est pas drôle mais elle aimerait qu’on lui foute la paix….. Un jour mon grand, tu comprendras… »


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