Lucie

Je ne sais plus quel âge tu aurais, au fond, je n’ai jamais vraiment calculé, ni même oublié. Il ‘y a pas eu de cris, il n’y a plus que des silences, et au fil du temps, les années passent et alignent les silences dans un bruit assourdissant. Petite fille aux cheveux blonds, l’enfance ne s’imagine qu’avec des cheveux blonds, douceur d’une couleur pour douceur de mémoire, mais tu eues été brune que je t’aurai quand même bien aimé, qui sait même davantage en regard de mes ex cheveux noirs. Il y a toujours un côté noir dans les histoires, je n’y peux rien, ce sont mes cheveux d’après naissance. Tu serais un soir d’été ou d’hiver, le printemps et l’automne m’auraient ravi tout autant, un jour de pluie, un jour de gris, un jour de beau temps, et quand bien même ce fut une nuit, elle aurait été la plus belle de mes nuits. De cette nuit serait née la lumière, Lucie. Mais de toi, je ne sais rien, tandis que je sais si bien tout ce que nous aurions fait. Tes frères et tes sœurs seraient-ils venus bousculer notre monde ? Certainement, mais comme toute construction, un mur ne démarre jamais que sur sa première pierre. Là, les fondations sont restées de marbre et les herbes folles ont recouvert les traces d’un début d’histoire, d’un début de vie, de départs de vies.


Je ne sais pas pourquoi, ces jours-ci c’est à toi que je pense, peut-être le blanc des cheveux qui s’en vient mettre son grain de sel, peut-être les moments où l’on se force à se poser, puis le regard dans le rétroviseur sur cette autoroute où tout va décidément trop vite, je ne saurais pas dire. C’est ainsi. J’ai aimé, j’ai désiré, mais tous les amours ne sont pas parents, mais tous les désirs ne sont pas féconds. De cette vie stérile aujourd’hui, il pleure des images, des tourbillons d’immobilismes, des étapes, des choix et des non choix, c’est ainsi que la vie s’écrit chez les humains. Il est facile d’imaginer ce qui aurait pu être, il est facile d’en disserter, il est moins évident d’en être serein. L’heure est peut-être bien au spleen, sans qu’il soit l’heure des longues nuits d’été, c’est comme ça, je suis désolé si je déboule comme cela, si je viens te déranger dans le cours de ta vie, si l’ombre de nos chemins un instant se sont croisées, au fond, nous vivons tous les deux dans notre propre ombre. C’est bizarre l’âge adulte, ça vous arrive sur la pointe des pieds et d’un coup votre parcours bascule de l’enfance à plus grand, plus vieux voire même plus encore. On ne choisit pas, les expériences de vie en dresse le tableau, certains sont adultes à l’âge d’enfant, d’autres sont enfants à l’âge d’adultes.


Je ne sais jamais dire l’âge des gens, peut-être bien parce que j’ai perdu mon âge en chemin mais je crois bien être en train de recroiser mon chemin. Une boucle de l’histoire qui vient éveiller une boucle de cheveux blonds, une randonnée en plusieurs tours, voilà qui forcément joue des tours. Peut-être est-ce ce parcours sur des pas déjà posés qui impose ce sentiment de déjà vu, qui génère de la lassitude et un mal être de cette vie dans son impression d’en avoir déjà fait le tour. La pause s’impose, c’est nécessaire et salutaire, aussi je te regarde partir, dans ces moments fragiles où les départs ne sonnent jamais comme des adieux et pourtant… Le constat est simple : tu es partie avant même d’être arrivée, tout comme tes frères et sœurs, nous nous sommes croisés qu’en rêves, en désirs non partagés et aujourd’hui la plage reste vide, le frigo sans dessins et les murs ne résonnent pas de ces rires d’enfants. Il est temps de refermer l’album, le sourire se ferme, les yeux brillent un peu, il n’est jamais évident de poser les points en bout de phase.



Je ne sais que dire d’autre, les mots ne saignent plus, les lettres se travestissent et disparaissent dans ces boites à sens où chacun lit ce qu’il veut bien y lire. Liberté ultime, nous avons beau partager les mêmes codes, nous ne pensons jamais tous à l’identique, et c’est tant mieux, n’en déplaisent aux dirigeants et aux dictateurs, parfois les mêmes, parfois différents. Et si en refermant le livre, les ondes se mettent à diffuser un Pascal Obispo chantant « Lucie » il se pourrait bien qu’il n’y ait point de hasard à ce que les paroles m’en soient sensibles…    

   

1 commentaire:

Fabienne a dit…

D'intenses émotions et beaucoup de délicatesse à l'évocation d'une enfant, de cette petite fille.
L'authenticité et la sensibilité de la fibre paternelle de l'auteur à chaque mot.
C'est l'hypothèse au travers de ma lecture.
Un texte qui submerge, qui envahit, qui chavire.