Au clair de la lune...

Se lever à l’aube pas encore née, avancer le pas mal assuré et encore endormi à la lueur de la lampe frontale, sentir sur la peau l’air vif et gaillard d’une nuit vivant ses dernières heures, gravir lentement cette masse sombre se détachant de ce ciel bleu nuit. Un moment hors du temps, un envie, un besoin, choisir une nuit dégagée, sans nuage, se sentir minuscule, écrasé par la voute étoilée,  goûter cet air frais qui vous glace les poumons tandis que les muscles se réchauffent dans l’effort de la montée. Le cerveau se réveille à grand coup d’oxygène, la vision s’habitue à la faible lumière, la mémoire s’en vient compenser les zones d’ombres, peu à peu le sentier renait dans la lumière de l’esprit. Combien de fois a-t’ il été emprunté ? Courses folles, rapides ou bien lentes, selon les clients, selon les amitiés, selon les groupes, être guide n’est pas toujours une sinécure et si le bonheur est de pouvoir faire partager sa passion de la montagne, il est des fois où cela revient à parler dans le vide, les mots heurtent un mur sans y trouver un écho. Il se souvient de ses débuts, ces attitudes le peinaient et le révoltaient, puis au fil du temps, au fil des pas, il est passé outre, quel que soit le groupe, il y a toujours une barrière, un mur invisible qui sépare le guide des clients. C’est ainsi et s’il passe pour un ours, tant pis, ceux qui sont ici aujourd’hui ne seront plus là demain, les randonnées sont comme la vie, elles ont un début, une fin, elles franchissent des marches, des obstacles mais elles ont pour objectif un but à atteindre, fut-il un pic, un col, un lac, et le rythme à y donner est celui qui permettra d’atteindre ce but, d’accomplir son objectif.


Il marchait seul dans cette nuit étoilée et fraiche, l’odeur de suint des troupeaux agglutinés pour le repos venait lui titiller les narines. Son pas venait perturber le silence des lieux, quelques sonnailles trahissaient les mouvements de tête des bêtes. La montagne vit par tous ces sons, ces odeurs, par ses habitants, sauvages ou bien parqués, jusqu’aux vols de chauves-souris cherchant dans l’air quelques insectes à croquer… Voici le premier col, de là, il basculait sur un autre versant, les sensations en devenaient différentes, désormais la pleine lune éclairait les rochers, le sentier plus lisible et le pas plus reposé. D’abord un faux plat, puis la montée, quelques lacets jusqu’à un autre petit col, un point de bascule vers une autre vallée, un point de rupture vers le pic, c’est là qu’il voulait aller. Une marche rapide, arriver trop tard serait dommage et puis aujourd’hui, il pouvait marcher à sa guise, autant en profiter. Les anciens bâtiments en ruines marquaient le col, leurs formes jouant à la lumière lunaire donnaient des ombres fantastiques à cette course en solitaire. Encore quelques pas et il pourrait toucher leurs pierres, oser le sac et grignoter quelques fruits secs, une gorgée d’eau avant de gravir le mythique sommet. Les vieux bâtiments servaient autrefois d’abris pour les premiers astronomes, bien avant que ne se construise là-haut le grand observatoire et ses télescopes dont les coupoles luisaient à présent sous la lune.


La pente plus raide, les muscles refroidis par la pause mais le cœur chaud par la réussite de sa  course, le sommet est là, tout proche, encore quelques centaines de mètres à gravir mais la nuit est toujours là, tant mieux. Bien sûr, il y a les structures de bétons et d’acier qui dénature un peu, mais c’est surtout cette grande plateforme qui désormais lui tend les grilles, vaste point dégagé sur trois cent soixante degrés, des sommets tout autour aux neiges brillantes sous la lune faiblissante. Là, poser le sac, revêtir la veste polaire et bien ouvrir les yeux. Attendre encore un peu, mais voilà qui déjà se profile à l’horizon une larme jaune orangé du jour qui nait. C’est là la magie du moment, la récompense des efforts accomplis, la victoire sur le regret de quitter sa couette, là, devant soi, voir le jour se lever, puis peu à peu, le soleil prendre de l’assurance et faire briller de mille feux les pointes encore blanches de tous ces pics amis de mille et une courses. Voir cela, puis la nature frissonner, les brouillards sortir de terre et se condenser en s’étirant dans les creux de vallée, voir tout cela d’en haut, voir, il n’y a rien de plus beau. Magie du spectacle offert, récompense ultime de cette communion, chaque jour en ces lieux il y a mille aventures, mille départs à prendre, mille plaisirs à cueillir…


Tout est toujours à porter de nos doigts, mais pourquoi ne les desserrons-nous pas ? Il n’y a aucun plaisir à serrer les poings, aucune joie à se dire « demain je … » Demain est aujourd’hui, car aujourd’hui lui, vit. Le présent est un présent du présent, le futur sera toujours bien futur, le passé lui est dépassé. C’est aujourd’hui qu’il faut vivre. Ici, comme ailleurs. Tout est toujours à porter de nos doigts.



      

1 commentaire:

Fabienne a dit…

Ici se vivent l'effort gradué, la patience, la passion pour le partage de vivre en communion la montagne. Sans nul doute une remarquable ascension !