Lorsque la vie se pose enfin, c’est tout de même un
sacré réconfort. L’état marital n’y est pour rien, vie de couple ou vie
célibataire, chacun comporte ses illusions, ses désillusions, ses bonheurs et
ses coups durs, et même s’il est toujours courant d’envier la situation qu’on
n’a pas, vieille tradition humaine basée sur le principe que l’herbe est
toujours plus verte dans le pré d’à côté, c’est plutôt d’être en phase avec sa
vie qui porte le réconfort. Un peu comme de retour d’un trop long voyage, on
rentre chez soi, on pose ses valises et on se pose un instant dans le fauteuil
du salon en regardant ce décor pour tant si familier et qu’on redécouvre parce
que sorti des yeux durant quelques temps. Il n’y a plus d’empressement, de
sortes de fuites en avant. Non, on est bien là, ici et maintenant, un peu comme
le musicien qui s’est emmêlé les doigts sur les cordes et souffle enfin lorsque
la bonne note retrouve le bon tempo. Un soulagement, oui, peut-être, mais je
dirai plutôt une harmonie, un rencontre dans le bon espace temps. Il n’y a plus
de projections sur demain ni après-demain, il n’y a pas de regret sur hier ou
avant-hier, il y a le temps qu’il est en ce moment, le temps qu’il fait en ce
moment, et c’est tout. Bien sur, il y a toujours des contrariétés, des soucis,
petits ou grands, mais c’est ainsi, bien ou mal, qu’y pouvons nous, à part
traiter les conséquences, essayer d’en comprendre les causes pour éviter que
pareils désagréments ne reviennent, rien ne sert de s’appesantir sur la raison
première de cela, elle appartient au passé et le passé est un vieil agri qui
déteste être tiré de son sommeil, alors silence, installons-nous
confortablement, relâchons-nous et prenons encore de ces bouffées de présents
qui illuminent et embaument si bien l’air de rien.
Parce que c’est cela en fait, l’air de rien, cet air de
nulle part qui peut-être ne mènera nulle part, ce tout petit rien qui s’en
vient donner du bonheur, ce bon air qui l’air de rien enivre et nous berce dans
l’ivresse du moment présent. Laissons-nous porter par le courant de nos
pensées, sérieuses ou plus légères, fantasques ou bien concrètes, le cerveau a
besoin de nettoyage lui aussi. Apprenons à nous visiter de l’intérieur,
alignons-nous sur ce marteau qui cogne au creux de la poitrine, tiens, il
s’apaise, il semble désormais un tambourin sonnant d’une voix douce et
charmante, à peine sonore mais avec on voyage par le sang au cœur de nos
cellules. Il y a comme un tourbillon qui souffle puis aspire, désordonné
lui-aussi. Intéressons-nous à lui, c’est bizarre, il a dû nous voir le bougre,
le voilà qui se redresse, et se met à marcher droit. Jouons avec lui, apprenons
lui une marche carré, un cycle à quatre temps loin des moteurs à explosion,
voyons, comptons un, deux, trois à chaque mesure, lentement, c’est plutôt une
valse, d’abord sur la première mesure, après avoir bien vidé ses poumons, on
compte pour se mettre en rythme et on inspire, un, deux, trois, puis on bloque
l’inspiration en déroulant la mesure, toujours sur le même rythme, le même tempo,
un , deux, trois, et là, on expire, toujours régulièrement, toujours sur le
même rythme, un, deux, trois, et puis on bloque, quoi donc ? Tout est
rejeté, il n’y a rien à bloquer ! Mais si, l’inspiration, ce réflexe de
naissance qui cherche à emplir les poumons d’air, mais là, non, pour l’heure,
on bloque, pas une heure non, plutôt la même mesure, un, deux, trois et on
inspire à nouveau, mais, vous l’avez compris, en rythme, un, deux, trois, et le
cycle reprend : inspiration, blocage, expiration, blocage….un, deux,
trois, un deux, trois, un deux, trois, un deux, trois…… Tiens tiens ! Il
semble que ce diable de courant d’air désordonné se soit pris au jeu, le voilà
qui danse en cadence, inspire, se pose, expire et se repose, et avec lui, c’est
tout le corps qui se détend, se détache de son quotidien, c’est relâche, l’air
de rien….De toute façon, le quotidien est passé, place à l’instant, au moment
présent, et pour l’heure, me voilà détendu, juste par ce petit rituel qui vient
apaiser les tensions de la journée. Ça n’a l’air de rien, mais essayez !
Puisque c’est rien, quel mal y aurait-il à le tenter ?
La formule est peut-être magique mais pas secrète, le
plus dur est de vaincre ses réticences, on a toujours du mal à imaginer cesser
de respirer, c’est vrai que cela ne manque pas d’air tout de même de demander
cela, mais à chacun de trouver son rythme, cela peut-être un-deux, je me
souviens d’un militaire qui se la jouait comme cela, ou bien un-deux-trois,
comme au temps de la valse, ou bien encore un-deux-trois-quatre comme sur les
bancs de mes cours de solfège, mais gare à l’asphyxie lors des temps morts,
enfin, je veux dire des périodes de blocage, et puis, le carré dans le carré,
j’ai peur que cela soit trop rigide, sans compter que l’air de rien, cela me
priverait trop longtemps d’inspiration, et l’inspiration, lorsqu’on aime
écrire, c’est quand même un minimum requis, non ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire