C’était un matin gris au cœur de l’automne gris. Le
ciel, les brumes maritimes, tout se mélangeait au point d’y perdre ses repères,
au point d’en avoir presque le vertige, un peu comme ce phénomène de jour blanc
qui survient en montagne lorsque le brouillard estompe le relief et que la
neige recouvrant le sol en finit le masquage. Le vent qui soufflait sur la
falaise était plutôt mordant, pourtant, il faisait bon marcher, il faisait bon
se perdre dans ses pensées, et même, cette atmosphère nébuleuse donnait un côté
surréaliste à ces terres si familières. Parfois le concret sait s’envelopper
d’abstrait tout comme l’abstrait sait devenir concret. Le soleil perçait
péniblement ces couches épaisses, qui, telles des filtres, aidaient à
visualiser l’astre à l’œil nu, disque parfait dans paysage brumeux. Les
grondements de l’océan étaient comme des voix d’outres-tombes, audibles,
puissants, étranges parce qu’invisibles, démontrant que les liens entre nos
cinq sens sont bien réels. Avancer parmi cette lande, où les formes
apparaissaient et disparaissaient à l’envie, buissons sauvages, sentiers
bifurquant, clôture de piquets alignés, donnait le sentiment d’être encore dans
un rêve, personnage d’un monde féérique, l’œil aux aguets, prêt à vivre ce
moment où la chaleur devient la plus forte et disperse enfin les brumes du
matin.
Etrange, que faisait-il là ? Rien d’autre que
marcher, respirer, écouter, sentir, vivre, tout simplement. Chaque seconde est
une seconde d’éternité, une communion avec la nature, une percussion des sens
pour une symphonie en gris majeur. Ce voile d’humidité était le meilleur des
alambics pour tirer de chaque plante la quintessence, pour abreuver d’effluves
cet air frais et vif. Dans le repli stratégique des saisons, l’automne était le
plus varié, le plus puissant, tantôt humide, tantôt froid, tantôt chaud et
bouillant, il mordait la vie à pleines dents. Aujourd’hui, c’était gris, non
pas gris tristesse, mais gris ardoise, l’ardoise des souvenirs qui viennent et
qui remontent, l’ardoise de nos vies, celle sur laquelle on écrit, puis on
efface d’un coup d’éponge , avant que l’humidité disparue, des traces à peine
visibles sortent du temps et révèlent les mots d’hier. Qu’importe les craies,
blanches ou colorées, qu’importe l’humeur, la fougue, la passion qu’on y a mis,
u jour où l’autre, les mots ressortent et s’en viennent cogner à nos vies,
comme des moucherons voletant à la lumière et qui s’en viennent frapper le
visage du promeneur. Qui sont-ils ces mots-ci ? Des restes des maux
d’au-delà ? Des vies passées dans une vie qui passe, mais on ne survit
pas, on vit, tout simplement. Alors ces mots ? Ces mots ce sont nos
rappels du passé, ce passé sans lequel nous ne serions pas nous-mêmes
aujourd’hui, ni demain, l’évolution est permanente, et même si parfois on
semble régresser, ce n’est qu’un recul pour mieux sauter la barrière, avancer
encore plus loin, comprendre et apprendre, retenir la leçon, non dans sa
dimension négative mais par la force qu’elle nous donne pour la dépasser. Le
chemin se fait en plaçant un pas après l’autre, qu’il soit plat et facile ou
bien tortueux et escarpé. Pour gravir des montagnes, les chemins sont en
zigzag, on part dans une direction, puis on repart dans l’autre, mais en
montant toujours, pas après pas, mètre après mètre, le sommet se gagne. Il n’y
a pas lieu de se décourager, juste d’adapter son souffle, de trouver son
rythme, de ne pas chercher à copier la personne devant, juste être soi, en
phase avec soi, dans son propre tempo et vouloir gravir le sommet.
La brume épaisse de ce matin, tout en masquant le
parcours, en masque les difficultés, l’esprit s’en trouve libéré, il ne
focalise plus sur cette montée raide puisqu’elle n’est pas visible. Et la
montée se fera, malgré cette pente qui en plein soleil aurait impressionné et
serait devenue source de démotivation. C’est à nous d’accorder la liberté à nos
pensées, de ne pas nous démotiver avant de n’avoir essayé. Nous sommes le
moteur de nos vies, le personnage principal, celui qui décide, qui agit. Ne
l’oublions jamais et agissons, soyons, vivons, respirons. Puis vient le temps
où la brume disparait comme par enchantement et le plaisir de voir le chemin
parcouru sera alors encore plus grand. Alors, n’hésitons plus, avançons !
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