Il était une fois, sur ces terres océanes qui savent si
bien unir la montagne à l’océan, un personnage étrange, mi fantôme, mi humain,
qu’on apercevait parfois lorsque la nuit venait envelopper le jour de son
manteau sombre, mi ombre, mi courant d’air, une impression de passage pour une
impression de passé, un passage effacé pour une ombre passée. Oh bien sûr, les
chasseurs d’âmes s’essayaient à le piéger, à le capturer, pire même, à le
mettre en lumière grâce à des puissants projecteurs, qui, de chasse ne chasse,
de traque en traque, se greffèrent aux murs des maisons, aux angles des rues,
aux bords des chemins, tant et si bien qu’un beau jour, enfin plutôt même un
beau soir, la nuit mourut dans une agonie de lumière, son drap de velours se
déchirant sous les coups des éclairs trop blancs. Les maisons fermées se
rouvrirent alors, leurs habitants venaient voir ce soir qui n’en était plus un,
les chats y perdaient leur latin dans cette nuit trop claire, ne sachant s’il
fallait dormir ou courir la souris, les chiens y trouvèrent de nombreux repères
à marquer, courant dans ces ruelles et ces rues de plein jour, les papillons jouaient
dans ces soleils artificiels avant d’en devenir fous et se s’écraser contre les
verres trop chauds qui leurs brulaient les ailes, jusqu’aux hiboux qui ne
trouvant pas chouette le vol de nuit en perdirent le sommeil et se mirent à
hululer au retour de la nuit.
Et notre fantôme ? Aucun piège n’y fit, jamais on
ne le captura, jamais on ne le vit, par contre, on continuait à le sentir nous
frôler, respirer derrière nous, et bientôt, on l’affubla d’un autre mal :
cet être était un voleur, un voleur de temps. Certes, il ne volait pas tous les
temps, ni même le temps qu’il faisait quoiqu’à chaque jour de gris dans un mois
normalement beau c’est lui qu’on accusait d’avoir subtilisé ce jour dû de
chaleur. Non, plus sournois, plus vilain, plus méchant, il volait le temps des
autres. Ses victimes ne s’en rendaient pas compte de suite, il faut dire qu’il
était un maitre en son art. ce n’est qu’après de longues discussions entre
voisins, dans ces repas de communion des hommes autour des fêtes païennes qui rythment
les travaux des champs et de la ferme, dans ces veillées où les débats se mêlent
aux tris des haricots, à écosser des petits pois, à égrainer le maïs que les
langues se déliant, chacun fit le constat qu’il lui manquait du temps. Oh !
Pas énorme, mais quand même, désormais, les jours semblaient courts et d’ailleurs
même les nuits étaient devenues insuffisantes. Il n’y avait pas de doute, c’est
bien lui, ce fantôme qui venait leur prendre le temps, sournoisement, mais
continuellement.
Il fallait agir, vite, sous peine de disparaitre par
manque de temps pour être. Les hommes se réunirent un soir et décidèrent d’un
commun accord de renforcer les pièges, de construire de plus grand projecteurs,
sur des pylônes plus hauts. Si tôt votée, si tôt engagée, les voilà à réunir
leurs économies, pour s’équiper de ce piège si efficace qui allait enfin les
délivrer. Tout autour du village, de gros pylônes bien solides portant de très
gros projecteurs s’hérissèrent, et le soir venu, la lumière fut pour ne plus
jamais s’éteindre. Fini le fantôme voleur de temps. Pourtant, le temps
continuait à disparaitre, c’était à ne rien y comprendre. Il faut dire, que
sous cette forte lumière, on ne savait plus s’il faisait jour ou nuit, et
personne n’osait quitter le village car le piège était si efficace que si le
fantôme n’était pas dans le village, c’était bien qu’il rodait autour, là-bas,
derrière ce halo qui empêchait de voir ses paysages autrefois connus. Personne
ne savait plus s’il fallait dormir ou travailler, si bien qu’au bout de
quelques temps, ceux qui travaillaient empêchaient de dormir ceux qui se
croyaient en pleine nuit. Le manque de sommeil rendait les gens irascible, les
querelles dévoraient ce village autrefois si pacifique, et le conseil des
hommes se réunit un soir, ou un matin, allez donc avoir ! Les discussions
ne trouvaient pas terrain d’entente, les partisans de la lumière assuraient que
grâce à elle le fantôme était tenu à l’écart, les opposants opposèrent que la
lumière avait aussi tué la nuit, ce qui leurs était tous préjudiciable. Le
curé, qui était un brave homme et quand même un peu excédé de s'emmêler les
heures dans les cordes des cloches proposa de faire une procession afin d’apaiser
le courroux forcement céleste qui avait libéré cet ange du mal voleur de temps.
Est-ce par résignation, par lassitude, par retour soudain de la foi, toujours
est-il que le conseil finit par adopter la divine proposition et la procession
fut décidée pour le lendemain. Me croirez-vous si je vous dit qu’après deux
tours de village, la réponse du ciel arriva ?
Spectaculaire, c’est dans un grand fracas qu’un bel
ange arriva. Oh, si vite qu’on ne le vit pas, juste un grand trait de lumière,
un roulement assourdissant et la lumière se fit, ou plutôt, la nuit recouvrit
le village, la foudre venait de frapper un pylône, et, solidarité technologique,
l’un après l’autre, les projecteurs explosèrent, les pylônes s’effondrèrent et
les villageois effrayés abandonnèrent le curé pour regagner à tâtons leur
maison et s’y barricader. Il se passa quelques cycles de nuits et de jours
avant que chacun retrouve la paix, le sommeil et l’énergie pour les travaux.
Les hommes et les femmes retrouvèrent la gaité des jours apaisés des nuits de
sommeil, aussi, d’un commun accord ils finirent par démonter ces vestiges du
pièges qui au final s’était fermé sur eux. Les chiens retrouvèrent leurs
marques, les chats tout heureux de pouvoir se déguiser à nouveau de gris
lorsque la nuit fut venue miaulaient à l’envie, les papillons volaient de
fleurs en fleurs, bref, tout ce petit monde se délectait des richesses que le
retour aux cycles naturels offrait.
Et le fantôme voleur de temps me direz-vous ? Et
bien, c’est assez délicat à dire, mais je crois bien qu’il est revenu lui aussi
dans le village. Certes, on ne s’en plains plus, le remède fut pire que les maux,
mais on s’aperçoit bien que de temps en temps, un souffle passe, qu’un peu de
temps nous manque, vous savez, ce temps pour voir les amis, pour écrire, pour
lire, pour se parler, de vive voix, par téléphone ou bien autour d’un verre. Et
si le meilleur moyen de le combattre, c’était de se donner le temps ?
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