Tournée d'adieux


Qu’est-ce qu’une tournée d’adieux, si ce n’est des aux-revoir à répétition, des aux-revoir bien orchestrés ? Ce soir, le clown rentre en piste, pour une des dernières fois, une tournée d’adieux, ce sont des adieux à épisodes, succession d’adieux…

Ce soir, le clown s’en va, pourquoi ? Pour où ? Comment ?
S’en va-t-il parce que son nez rouge lui pèse trop ?
Parce que ce nez rouge est trop mûr ?
Parce que ce nez rouge vire au noir ? 

Non. Il n’y a pas de clown noir, il y a des augustes, il y a des clowns blancs, mais non, pas de nez noir chez les augustes.

S’en va-t-il par lassitude des peintures de guerre ? Non plus.

Il s’en va parce que…. Pour comprendre cela faudrait-il encore comprendre les clowns. C’est quoi un clown ? Personnage restant dans l’anonymat, caché derrière un masque de peinture, un grand sourire peint sur le visage, des sourcils hilarants, un nez rouge, des cheveux dans tous les sens, un habit de lumière, des chaussures pour faire des grands pas, mais au fond, qui est-il vraiment ? Il fait rire, mais ces rires s’arrêtent à son apparence, mais ces rires ne vont pas chercher plus loin, jusqu’à la profondeur de la souffrance, mais ces rires ne sont communicatifs que dans un sens, le clown est là pour faire rire sans que personne ne sache qui il est vraiment. Un peu comme un intermittent du spectacle de la vie, qu’on appelle pour rire, pour se rassurer, il est si ridicule, si ballot dans son apparence, puis on l’oublie, il disparait dans le décor, un courant d’air…. Alors oui, le clown s’en va, le clown dit adieu, le clown tire un trait, il part, et avant de partir, il rentre, une dernière fois, sur la piste, la gorge serrée, la gorge nouée comme tout à l’heure dans sa roulotte, lorsque d’une main plus très assurée il a dessiné d’un geste mécanique le contour de son sourire, le contour de son nez rouge, la courbe de ses sourcils. Dans une démarche moins chaloupée que d’ordinaire, ses grandes chaussures ont heurté le bord de la piste, déclenchant l’hilarité ; Il a déroulé son spectacle avec les mêmes effets tant usités depuis tant de temps. S’il avait été un comique, un comique sonore, s’eut été des jeux de mots, s’eut été des expressions sorties de son dictionnaire personnel aux pages élimées, qui font sourire, sans savoir si les sourires sont de complaisance, de compassion ou sincères.

Voilà, de tout cela, le clown en a marre, le clown en a assez, de tout cela le clown n’en veut plus. Et ce soir, le clown tire un trait. Oh, bien sûr, il y aura plusieurs traits, plusieurs dates, plusieurs salles, plusieurs villes, plusieurs cirques, plusieurs spectacles, mais, le clown s’en va.

Chapeau bas l’artiste, et si tu quittes cette toile, jaune et bleu, bleu et rouge, jaune et rouge, ces odeurs de ménageries, de fauve, cette pise de sciure et de sable, puisse le grand cirque de la vie avec sa voute étoilée t’accueillir, puisse tu t’exprimer vraiment, puisses-tu partager, puisses-tu échanger, et surtout recevoir, le juste retour, une vraie communication, puisse ton âme longtemps vivre et être heureuse sans se cacher sous le masque des peintures, sans ces chaussures trop grandes, parce que la vie s’avance à petit pas, parce qu’on fait toujours, un pas après l’autre…

Et oui, ce soir, le clown s’en va. Adieu l’artiste.

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