Sous les sens

Qu’il est doux de flâner en automne, de profiter des journées encore belles pour satisfaire les envies de plein air, ne serait-ce que quelques instants, en marchant, en roulant, la tête dans le vent, sentir l’ivresse des parfums mêlés, senteurs des paysages et odeurs de ces vieilles autos, tellement identifiable à la mémoire olfactive. A l’heure du « sortez couvert » le « roulez découvert » est un plaisir simple, une transgression hautement recommandable de nos boites de conserve aseptisées nous servant d’habitude de moyen de transport. Que l’auto soit ancienne, ou plus encore, mais surtout, qu’elle soit de plein air, non pas de ces carrés de lumière qui servent parfois de toit, non, de ces grandes voiles plus ou moins souples, rarement étanches, dont l’unique richesse réside dans sa grande latitude à disparaitre pour nous exposer directement aux rayons solaires et aux éléments. Attention à la conduite ou au transport en short ou jupe courte, le soleil cogne sans prévenir, de quoi se retrouver le feu aux cuisses, et bien sûr, la tête et les bras mais eux sont tout de même plus habitués à voir la lumière. Par contre, qu’un nuage se pointe et se mette à pleurer, il est trop tard pour remettre le toit en place et voici venu le temps de la douche, quand ce n’est pas une attaque sournoise d’une rampe d’arrosage placée trop près de la route. S’il est plaisant d’humer la verdure, les bois, les fleurs, il n’y a aucun filtre quant aux épandages de lisiers et autre fumiers. En clair, vivre et rouler avec son temps par tous les temps.


Un des autres bonheurs des autos anciennes, c’est aussi le retour à l’aléatoire, fini les trajets où tout se gère en quelques touches, la température au degré près, la puissance au démarrage et pour doubler, les bruits feutrés et le confort digne d’un pullman, non, là c’est aussi la panne silencieuse, celle qui voyage avec vous jusqu’à ce qu’elle descende, enfin, qu’elle vous fasse descendre. Les températures se règlent à grand coup de patience et de savant dosage sur des tirettes souvent coincées, avec une vraie climatisation, chaude en été, froide en hiver, et puis le moteur est là, bien présent, il hurle parfois, il respire fort mais n’accélère que peu, de toute façon le châssis et les pneus ne sont pas là pour faire  la course, cela on le comprend bien à leurs manifestations parfois criantes. Nul souci, cela au fond va de pair avec le plaisir de conduire, le plaisir retrouvé même. Fini  le fonctionnement en automate, ici le conducteur conduit, et pour de vrai. Un autre plaisir, c’est de voir les sourires et les signes de sympathie le long des trajets, des gestes quasi oubliés qui redonnent un sens au mot humanité. Lorsqu’on dresse le bilan de ces échappées en belles anciennes, c’est une somme de positif qui se dresse et ne peut que faire pencher la balance en cette faveur.


Pourquoi ne pas en profiter toute l’année ? Peut-être pour en garder cette dose de magie et de plaisirs, plus sûrement parce que si nos anciennes attirent la sympathie des passants, cela n’est visiblement pas partagé par les autres conducteurs. Ils ne semblent que voir contraintes et désagréments pour leur plan de bataille quotidien où ils se situent sans doute en guerriers conquérants. Les affres de la circulation se peuplent alors de queues de poissons, de dépassements plus que limite, de grands coups de frein sans comprendre que ces autos d’un autre temps se passent d’ABS  et autres mâchoires puissantes et mordantes de frein. Tant pis, on fait avec et sans, tout en réalisant que ces autos d’un autre âge sont faites pour les routes dégagées où rouler sans contrainte, mais au fond, le plaisir se vit-il avec des chaines ? En parlant de chaîne, deux petites anecdotes : la première, ces bon vieux moteurs se passent de modernes courroies de distribution coûteuses en remplacement obligatoirement programmé, ils ont conservé les archaïques mais robustes solutions, des chaines dont la durée de vie est sans égal, tout comme d’ailleurs celle du moteur. La deuxième anecdote à propos de chaines, c’est qu’en hiver sur route enneigée, ces vieux bolides se conduisant sur un filet de gaz savent rouler sans d’autres accroches que leurs étroits pneus en bon état… Non, le but n’est pas de faire l’article, le marché est hélas parti dans des considérations affolantes quant aux tarifs de ces populaires autos, hélas parce que cela a pour effet de les ôter d’une clientèle populaire, qui aimait et bichonnait elle-même sa voiture, n’hésitant pas à mettre la main dans le cambouis et apprendre le savoir-faire. Aujourd’hui ces populaires autrefois boudées deviennent des icônes de boboïsme, des « must to have » des objets à la mode, et il n’y a rien de pire pour une espèce que d’être rabaissée au rang d’objet, car dans notre monde moderne, tout passe, tout lasse, tout se casse. Drôle d’époque. Partons prendre l’air…..    


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