Il
faut du temps pour se construire, il en faut bien plus pour se reconstruire,
c’est certain, et bien plus que du temps, c’est de la méthode, de la patience
et parfois même une bonne dose d’abnégation. Nos vies sont comme ces
gratte-ciels pleins d’étages, l’aspect extérieur massif et solide ne peut faire
oublier la technicité de leur construction, la rigueur de l’assemblage, la
solidité de leurs fondations. On ne peut transformer une construction à la
hâte, il en est pareil de nos vies. Vitesse et précipitation ne font pas bon
ménage dans les gros travaux, parfois, les murs sont si atteints, si fragilisés
qu’il convient de les tomber pour repartir des fondations et construire du
solide. Bien sûr, cela est une tâche de longue haleine nécessitant de la
constance et de la concentration, mais à coup sûr, le résultat en dépend
fortement.
« Fermé
pour cause travaux », « chantier interdit au public » telles
sont les pancartes qui devraient être visibles sur bien des vies
malheureusement le manque chronique de temps et la peur de l’ampleur du
chantier font que bien souvent ce n’est que replâtrage et peinture neuve à la
hâte pour bien vite reprendre ce qui passe pour le cours normal de l’existence.
Un peu façon émission à la mode, je masque, je cache, je repeints par-dessus,
bref, je pomponne et je fourgue, de préférence par une nuit sans lune et
éclairé à la bougie devant des yeux endormis. A chacun son strass, son stress,
ses paillettes, ses pailles dans l’œil du voisin, ses poutres à peindre en
blanc pour faire plus grand et plus propre, à chacun son rythme, là encore, il
n’y a pas de principes à suivre, de méthodes, de gourou, juste l’envie, le
besoin, le cheminement de tout un chacun. Rebondir, se relancer, changer d’air,
changer d’ère, tourner la page, la déchirer, la brûler, et après ! Et
après ? Il y a la vie, ses leçons, ses marches, son parcours, on peut
rater une épreuve, elle reviendra plus tard, on peut fuir toute sa vie, elle se
représentera à l’embauche le moment venu, on peut aussi descendre du manège,
passer son tour, ses tours, rester seul sur le banc jusqu’à sortir de sa torpeur,
s’apercevoir que la place est devenue vide, le monde parti, le manège disparu,
tiens, on dirait même qu’il fait plus frais d’un coup. « J’ai rêvé ?,
je suis où, j’en suis où ? »
Assis
seul sur un banc, sifflotant une symphonie si simple, si sotte, si synthétique
qu’elle en coupe le sifflet, c'est le signe d’un mieux, un changement d’aire
par le changement d’air, un appel à la vie dans le désert d’une place vide, une
occupation de l’espace par le son, être soi par la voix, voir alors qu’il n’y a
rien à voir. Le vide, la quiétude, l’absolu, le désencombrement de la vie, le
retour à l’essentiel, aux essences de la vie, aux bases, aux fondations, celles
là-mêmes qui sont notre socle sur lequel nous allons à présent dresser nos
murs, plus solides, mieux éclairés, plus graciles, moins hauts, tout immeuble
commence à s’élever par le bas, n’en déplaisent aux poseurs d’antennes… Mais
avant de poser la première pierre, encore faut-il s’assurer de la solidité des
fondations, de leur bon état, en détecter les faiblesses, en renforcer les
soubassements au besoin. Cela prend du temps, c’est vrai, mais le temps est un
allié, non un ennemi comme trop souvent perçu dans nos sociétés de vendeurs de
montres. Pour tout cela, il faut aussi la connaissance, sinon comment savoir
mesurer la qualité de ses propres fondations ? La vérité est dans notre
analyse et notre perception des choses, non pas dans les commentaires de tous
ceux qui commencent à vous dire « à ta place…. » Mais jamais personne
ne se retrouve à la même place, dans le même vécu, parce que les vécus sont
tous différents, parce que le mental est propre à chacun, parce que les
réactions face à tel ou telle situation ne peuvent qu’être liées aux émotions
de chacun. Voilà pourquoi la solitude est bonne, et n’en déplaisent aux âmes
charitables dotées de grandes pensées, elle n’est pas une fatalité, ni
déprimante, ni désolante. Trouver sa place dans la solitude, c’est accomplir
son propre chemin, découvrir ses douze travaux d’Hercule à soi, c’est se donner
enfin le temps de s’écouter, de se parler, de s’entendre et de réapprendre à
vivre avec soi, c’est apprendre à s’aimer, tout simplement. La première des
étapes, la fondation première, s’aimer pour aimer l’autre.
Il
n’est jamais plaisant de rencontrer ces palissades dressées à la hâte pour
masquer la laideur du chantier, mais au fond, si elles sont là, c’est bien
parce que demain se dressera ici un bel immeuble, du moins une solide
construction, la notion de beauté ne pouvant être que subjective. Ne soyons pas
impatient, comprenons le délai, apprenons la patience, respectons les silences
et les distances mises en place par ces palissades fussent-elles invisibles.
Demain, il fera meilleur, le spectacle sera autre et les palissades disparues…
Après tout, lorsqu’on reçoit un cadeau, se contente-t-on de ne regarder et de
ne garder que l’emballage ?
2 commentaires:
J'ADORE!
Natacha
J'aime la subtilité de cette vision imagée ; se référer et observer les éléments qui nous entourent pour les transposer à notre construction identitaire.
Ce texte a le mérite de nous permettre de réfléchir aux propres batisseurs de notre vie que nous sommes, en tendant vers la solidité au détriment du paraître.
Enregistrer un commentaire