Ecchymoses

Ecchymoses de maux, ecchymoses en prose, les mots volent, les mots veulent, les mot-à-mots sont des pansements, matière à penser, soins sans tsoin-tsoin, charme naturel, magie de l’instant, un rôle ni drôle, ni trop sérieux, juste des vies denses comme simple évidence. Il n’y a jamais de période définie pour être heureux ou bien malheureux, pour penser, pour se soigner, pour écouter, pour s’écouter, pour dire, pour maudire, pour mot dire, non, il est toujours temps, nous sommes toujours au bon endroit. Encore faut-il le vouloir.

Difficile de dire si l’on veut ou pas, difficile de se croire capable de le faire, bien sûr, l’échec construit une image sombre, triste et négative qui parfois a trop tendance à aspirer la vie dans ses sables mouvants, il en savait quelque chose. Lorsque le regard éclaire en noir le vécu, il n’est pas simple d’en voir les belles et bonnes choses pourtant, elles existent, elles ont compté, autant que les moins bonnes, les moins belles, elles sont juste voilées, masquées et en deviennent insignifiantes, l’esprit préférant se focaliser sur ses pensées majeures, fussent-elles sombres. C’est assis sur la vielle jetée, les jambes dans le vide et le regard tout aussi vide perdu dans l’horizon où se noyaient les vagues qu’il ruminait toutes ces sombres étapes d’une vie lui paraissant du coup bien longue, fortement injuste et tellement éprouvante. Le crachin avait beau lui fouetter le visage en y faisant naitre des ruisseaux de fraicheur, il ne pouvait bouger, le poids mort d’une vie aux épisodes morts le clouait sur place. Seul. Face aux éléments, pourtant d’habitude si puissants à le régénérer, il sombrait dans son propre enfermement, une folie personnelle face à laquelle il n’opposait qu’une camisole qu’il prenait soin de tricoter et de ligaturer lui-même. Les rochers, les flots, l’eau sombre en dessous de ses jambes ballantes semblaient l’attirer, semblaient l’appeler. La tête lourde, le regard noir, il se sentait volontaire à ne plus avoir de volonté de résister. Laisser tomber. Se laisser tomber. Glisser sur le bois humide, faire plouf, un plongeon rapide dans les eaux froides puis plus rien, détaché des mauvaises ficelles de la vie, disparaitre pour ne plus réapparaitre. Abandonner.


Depuis combien de temps était-il là ? Las, assis, vide, vidé, noyé dans des noirceurs de l’âme, perdu dans le labyrinthe qui éreinte nos vies, à chercher la sortie, la bonne, celle où il fait beau, celle où l’on vit, celle d’une forme de paradis sur terre, peut-être bien au fond parce que le paradis est sur terre et nulle part ailleurs. Un cormoran s’en vînt battre des ailes devant ce corps mourant englué sur le bois de la jetée, une forme de parade, un appel à voir, à quitter du regard cette zone sans but qu’est l’horizon, et par là-même à voir, à revenir dans la réalité. Après tous, ce qui est passé est passé, et si ces passés sont dépassés, à quoi bon s’y attarder ? C’est aujourd’hui le présent, le vivant, hier n’est plus mais il a laissé des leçons et si les blessures saignent, elles ne font qu’épurer le mauvais sang, le mauvais sens que la vie avait pris. Laisser couler les pus d’une existence, panser les plaies et penser aux comment en pourquoi, non pas pour rejouer la même scène différemment, cela n’est jamais possible, non, juste pour jouer encore et encore, d’autres scènes, d’autres possibles, d’autres vies parmi d’autres vivants. Soigner les blessures par les pensées, saigner les blessures de leurs mauvais sangs, de leurs mauvaises humeurs, saigner pour soigner, penser pour panser, puis se dire « j’essuie parce que je suis » et être. Un être nouveau, un être différent, voir le temps ralentir, se poser, le temps devenir un allié, même pas, le temps devenir une simple composante et non le recteur d’une vie. Vivre, tout simplement. Drôle de réveil aux battements d’ailes d’un cormoran dansant dans les courants d’air, voilà que maintenant la fraicheur humide des planches devenait insupportable, il fallait se lever, se redresser et marcher, se dégourdir les jambes, le corps et l’âme. Il se leva lentement, les jambes chancelantes mais bien moins que l’esprit comme sonné d’avoir osé penser que la fuite était un salut, que l’onde profonde pouvait être un réconfort. La tête lui tournait, il était trempé de ce jour gris et humide, il lui fallait marcher pour se réchauffer et puis pourquoi pas, s’approcher du bar là-bas et entrer boire quelque chose de chaud, pourquoi échanger quelques mots, lire les journaux et regarder la pluie tomber et glisser le long des vitres.



C’est cela la vie, des vagues de pluies plus ou moins froides qui viennent nous ruisseler dessus, à cela, nous n’y pouvons rien. Par contre, nous restons maitre de notre existence et de choisir de quel côté des vitres nous souhaitons être, côté extérieur à essuyer les tempêtes qui nous rongent et nous détruisent peu à peu ou bien côté intérieur à boire chaud et regarder les larmes glisser sur notre vitre protectrice. C’est ce choix qu’il a pris, à présent il en sourit.           

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je relis ton texte et je me dis que j'ai pas le droit de me plaindre...
Courage et gros bisous,
sourires
Natacha