La fin des haricots


Et bien voilà, comme tout a une fin, nous y sommes rendus à la fin. La fin des haricots ? Non, il est trop tôt, ils ne sont même pas semés, d’ailleurs, mon grand-père qui s’y connaissait, en haricot comme en plein d’autres choses, normal d’ailleurs, c’est de famille, bref, mon grand-père qui s’y connaissait disait toujours qu’on ne sème pas d’haricot en mai, c’est vous dire quand même, il le savait lui, et puis même, lui, il partageait sa science, ce qui dans une époque de tradition orale valait son pesant de cacahuète. Euh non, là, faut pas exagérer, ce n’est pas aux vieux singes qu’on apprend à faire des grimaces, ne lisez pas ce que je n’ai pas écris, mon grand-père ne faisait pas dans l’arachide, bon, pour être franc, peut-être bien un peu, le temps des fêtes, non pas les fêtes religieuses qui décorent et rythme le calendrier tout comme elles peuplaient nos rendez-vous familiaux de ces repas interminables qui n’en finissaient plus, imaginez un peu dans la chronologie d’un enfant combien il peut-être long et pénible d’user le fond de son pantalon le cul sur ces maudites chaises en paille plutôt que de s’en aller s’écorcher les genoux aux bitumes des rues ; Non, les fêtes dont je parle, enfin, dont j’écris, ce sont ces balloches, ces fêtes foraines où la monnaie grand-paternelles se traduisait en sachet d’arachides, vous savez ces trucs difformes à éplucher pour en savourer les cacahuètes avec la dextérité d’un jeune singe qui ne s’en laisse pas compter mais doit faire face à deux phénomènes fort différents : celui de la gravité que ce cher Newton mis en exergue avec des pommes, tout en évitant de tomber dans les pommes, ça, je l’ai su bien plus tard sur les bancs non moins fastidieux des écoles et autres lycées qui ont eu la bienveillance de m’accueillir, et puis, le second phénomène, c’est la troupe de phénomènes dits adultes, qui par malin plaisir s’amusaient à me piquer les fameuses cacahuètes pour soi-disant m’amuser, jeu que je trouvais fort peu drôle et plutôt lassant, puisque trop répétitif et même, très peu nourrissant à mon encontre. Cela dit, une pensée me vient, une parmi d’autres, je me souviens avec tendresse et avec l’eau à la bouche et l’odeur au nez des ces cacahuètes d’hier, qui avaient plus de saveurs que les productions mécanisées d’aujourd’hui. Laissons de côté les madeleines et puis Proust, mais tout de même, quand j’y pense….

Mai je m’écarte du sujet premier, revenons à nos moutons et surtout à nos haricots, dans une époque révolue ou la liaison entre « nos » et « haricots » était prohibée, le « h » muet n’était pas respiré, heureux temps où nos drogues étaient plus sensuelles et plus nourrissantes, ah ! le haricot de mouton…. N’allons pas flageoler sous les coupes de la faim, même si de ce temps-là, les coupes faim ressemblaient bien plus à de savoureux casse-croutes aux belles tranches de pain ayant eut le temps de lever et de cuire avant de servir de divan à de belles tranches de fromage patiemment affiné, un vrai canapé aux parfums d’estives bien loin des verres de lait pasteurisé que l’on croque désormais si on oublie d’aller visiter le fromager. Ça, mon grand-père le savait, tout comme il savait jouer de l’opinel et trancher le jambon, rouge vif ceint de blanc immaculé, un jambon qui ne doutait même pas qu’un jour ses descendants étoufferaient dans le vide de couches de plastique, bref, l’art et l’artiste, humble, vrai, sincère et connaisseur, amateur des joies simples et des trésors de nos campagnes, jusque dans ces lichettes de vin aux reflets rubis, servi avec la modération de ces années passées, sans oublier cette façon de découper la pomme ou bien la poire, en tranche fine dans le sens de la hauteur….. Il s’y connaissait aussi en casse-croute, tout comme en haricot, ces fameux haricots qu’on ne sème pas en mai, mais qu’on sèmera en juin, parce que le haricot est ainsi, c’est en juin qu’il va en terre et germera, mai est trop tôt, trop frais, avec ces saints de glace et ces aléas du temps, avec tout un tas de choses qui concerne les lunes et mystifie celui qui ne sait pas tout cela, et ça, mon grand-père lui le savait, et puis même, il le disait et l’enseignait comme ça, sans qu’on s’en rende compte, le genre du truc qu’on entend un jour et qui s’en vient vous secouer la neurone quelques années plus tard, ce truc tout bête appris par hasard, sans le vouloir, et qui vient vous sortir une larme, parce que vous pensez d’un seul coup à ce vieil homme que vous n’avez presque jamais vu comme vieux, parce que les yeux de l’enfance sont les yeux de l’amour sans le voile imbécile de la pudeur adulte, parce que voir avec le cœur c’est voir au fond des choses sans s’arrêter à la superficialité des rides d’un visage, parce qu’aujourd’hui en pensant à planter dans mon jardin des pieds de tomates dont les semences sont issues des semences des tomates qu’il plantait, je ne peux qu’être ému et penser à cet homme dont le corps est en terre mais l’esprit libre de venir souvent nous visiter, parce que même fin mai, au fond, ce n’est pas la fin des haricots. Non.     

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce texte me touche dans ce qu'il y a de plus heureux en moi.
Ce soir, plus qu'un autre, mille mercis...

Natacha

Didier a dit…

tant mieux alors si mes mots apportent du bonheur.