Mai


Le voilà ce mois de mai qu’on aime, lorsqu’il se pare de bleu, lorsqu’il s’habille de chaud, lorsque les fleurs sont belles et les tenues plus légères, lorsqu’on sent enfin ces envies de vitamines D à s’en  brûler la peau, lorsqu’on se dit qu’enfin hier est passé et avec lui le froid ; J’ai toujours aimé le mois de mai, cela dit, chaque mois m’apporte ses leçons de plaisirs, ses envies et ses désirs, mais mai et non pas mémé, a toujours un son, un couleur, des odeurs particulières. Serait-ce parce qu’autrefois c’était le moment de la grande foire de Toulouse, avec ce dépaysement, ces parfums gourmands, cette foule enivrante, ces  camelots aux discours ne pouvant qu’être vrai tant ils possédaient de la force dans l’accent, des intonations dans le verbe, de l’envie d’adhérer, d’acheter à ce besoin soudainement créé. Peut-être est-ce par la force du soleil, mon astre géniteur de force, même si en ces premiers jours chauds et donc trop chauds, on se trouve là soudain très las, des envies de sieste, de farniente, de prendre le temps de voir pousser les fleurs, de compter les jours qui nous séparent encore des rougissantes cerises, de se prendre à rêver d’une nouvelle cabane, de songer que bientôt l’été sera là.

Mais ce mois de mai fut souvent porteur de tristesse, je me souviens de ce jour très beau, très chaud, mon père en service à la foire, nous seuls à la maison avec ma mère et ma sœur, voyant surgir en trombe l’auto de mon oncle, et mon cousin descendre en larme pour nous annoncer le décès accidentel de son frère. Un voile sombre sur un jour doré, dans un temps pas si lointain où nous vivions sans téléphone, je parle du fixe, alors pensez pour les mobiles et autres internet…. 21 ans. C’est jeune pour mourir, la faute à pas de chance, à une époque où les autos étaient sûres mais bien moins qu’aujourd’hui, la faute à une allure un peu vive parce qu’il fait chaud et qu’il venait de quitter ses amis, sa fiancée à un pique-nique en forêt pour aller se changer chez lui et vite les retrouver. La faute à du gravillon dans un virage, parce que c’était comme cela en ce temps là pour permettre l’adhérence les jours plus gris, la faute à un pilier de portail parce qu’un portail a besoin de s’appuyer quelque part, la faute à des sièges sans appui-tête, parce que les autos d’alors naissaient et mourraient sans connaitre les crash-tests, l’ABS, l’ESP, les airbags et autres sièges dignes de ce nom, pas plus que de ceinture, en ce temps-là, nous étions en sécurité, nous étions fort, invincibles, à l’abri. Et mai pleura très fort, et l’enfant que j’étais découvrait l’horreur de la disparition même si cela amena des réconciliations dans une famille distendue. Et puis il y eut le vingt-et-unième siècle, ses moyens modernes de communications nous rendant chaque jour un peu plus muet, sourd, coupé de notre monde. C’est par un bel écran rétina que je reçus la terrible nouvelle. Encore la route, encore un accident, encore une disparition à l’aube de mai. Et je songe alors à ce mois sombre dans ses plus belles lumières, le rappel noir lorsqu’on cueille à peine l’insouciance d’un sortir de l’hiver et du froid printemps. C’est comme cela la vie, beau et chaud, avec soudain des lames de froids et de tristesses, des larmes d’émotion pour le bon comme le moins bons, une sorte de gâteau mystère, ou le fondant répond au croquant, ou le froid réveille le tiède, parce que nos vies ont du sens, parce qu’il y a toujours du sens à nos vies, parce qu’au fond, la vie n’est qu’une étape, et que même si nos cultures nous ont forgé une image sombre et détestable de la mort, elle n’est qu’une étape qui certes clôt notre vie, du moins celle-ci, mais il ne faut pas en avoir peur, pas plus qu’il ne faut avoir peur de vivre.

Bien sûr, il y a ces épisodes dont on ne connaitra pas la fin, bien sûr il y a ces mots restés en l’air, ces rendez-vous manqués parce que trop tard, mais il reste ces rires, ces joies, ces leçons reçues, ces moments partagés, ces bouts de vies venues croisées notre chemin pour nous accompagner sur un bout du chemin, mais on ne fait jamais le chemin qu’en marchant, notre but nous est personnel et c’est à nous de l’accomplir dans cette phase du temps attribuée que l’on nomme « vie ». Alors, le chemin est devant moi, je referme le tiroir des souvenirs, je sais aujourd’hui qu’il n’est pas de rencontre fortuite, d’instant innocent, j’ai reçu bien des forces d’êtres aujourd’hui envolés dans d’autres vies, dans un autre nuit, à vous tous, je vous dis merci, tout comme je remercie mes guides actuels et à venir, tout comme je serais heureux d’avoir guidé et de guider encore sur quelques pas d’autres chemins, tout comme je suis fier d’être un maillon dans la grande chaîne des êtres qui savent soulager et permettre de guérir, de s’ouvrir, de comprendre qu’il n’y a pas que la science et la restriction mathématique, notre monde est complexe mais non compliqué, c’est juste nous, simple unité, humble sujet qui nous le compliquons. L’empreinte de l’homme n’est pas celle que l’on dessine mais celle qu’on laisse au détour du chemin. On ne force pas sa vie, on la construit. 

Joli mois de mai. 

1 commentaire:

Marie Soleil a dit…

Très intéressant comme texte.
Bonne journée.
Marie