Le fleuve est la ville

Encore une dernière longueur et voici le joli mois de mai qui pointera son nez. Le mois où il nous vient l’idée d’aller jouer les vagabonds, à se prélasser de pont en pont, profiter de beau temps revenu, enfin, venu parce que là, que d’eau, que d’eau comme dirait ce brave Mac Mahon, dont du reste, je ne sais s’il fut brave ! Petit rappel d’histoire, ce Mac Mahon, Maréchal de son état fut président de la république, dans sa version troisième du nom, et d’ailleurs, le premier à inaugurer le septennat de 1873 à 1879. Ces mots magiques et terriblement réalistes, voire même pathétiques, furent prononcer sur notre belle région toulousaine à l’occasion d’une présidentielle visite lors de la crue de la Garonne de 1875. Bon, voilà qui est dit, et l’histoire est en marche. Un fleuve, et quel fleuve ! Un président, et des mots. Bon, le président eut ces mots, le préfet, pour compléter l’histoire lui aurait répondu «et encore vous n’en voyez que le dessus ! » ce qui pour un préfet dénote son humour et rajoute, non sans jeu de mot, de la profondeur au débat. La force et la puissance de notre fleuve chéri, provoquèrent ainsi en cette année-là, des mots présidentiels et des maux locaux, tant les flots dévastèrent les quartiers riverains alors non protégés par la magnifique digue de béton gris que nous voyons aujourd’hui et eurent raison du pont Saint Pierre, comme quoi, on ne sait jamais à quel saint se vouer….

L’eau, la vie. Le Fleuve, notre fleuve, la Garonne, fière et rebelle, au cours sans cesse changeant, qu’en quelques kilomètres à peine, on peut voir de l’état de ruisseau sauvage en fleuve placide sinuant dans la ville, sa ville, car je ne peux, toulousain je suis, toulousain je reste, dissocier l’une de l’autre, imaginer même une autre association. Au fil de l’eau, au cours des jours, au fil des jours, le débit, le volume varie, caprice de fille de Pyrène, descendant de sa montagne tantôt guillerette, tantôt en furie, toujours sauvage, ne prêtant son dos aux navires qu’en peu d’endroit, jouant des fonds irréguliers et plutôt rocheux de son lit, elle glisse, rebondit, créée des remous, agite au gré de ses humeurs les esprits et le verbe. Est-ce pour cela qu’ici le verbe est haut ? Haut en couleurs, haut en puissance, aux accents fluctuant comme le fleuve, rocailleux comme son berceau, nos voix s’accordent et se mêlent aux eaux de cette artère nourricière, s’emportent dans des glissades effrénées, se rassemblent contre l’obstacle qu’elles repoussent de leurs forces ainsi unies. Bien d’autres troubadours l’ont raconté ou bien même chanté, sur eux tous je ne peux renchérir, je n’en aurai ni l’audace et n’en ai point le talent. Tout ce que je sais, c’est l’étroit lien qui unit ma ville à mon fleuve, ce lien inévitable et tellement évident qui se tisse et enserre mon cœur à jamais. Ville exceptionnelle, rose sous le feu du soleil couchant, ou du matin déjà flamboyant, le fleuve se parant dès lors de mille éclats, et, telle une rivière de diamant soulignant la beauté d’une élégante, il s’en vient souligner de ces traits de feu la majesté des façades vers lui orientées. Quel que soit le temps, l’époque, l’heure, le moment où j’arpente ma ville, quel qu’en soit l’endroit, pont, boulevard, jardins ou ruelles, j’y trouve toujours un attrait, je suis à chaque fois émerveillé. Un détail, une cour, un balcon, une façade, une vieille porte, des briques et des pierres remises à neuf, un portail ouvert sur une cour cachée, c’est sans cesse plaisir de découverte, de redécouverte. Une ville bruyante, à dimension humaine, une ville brillante par sa dimension humaine. Bruyante ? Oh ! Pas de ces bruits sans cesse dérangeant, non une ville du sud aux accents de gouailles cosmopolites, des rires, des cris de joies, des apostrophées lyriques et envolées, des têtes qui se tournent, des regards qui s’effacent, des pas qui se pressent quand d’autres ralentissent, des parfums croisés au hasard des pas, sucrés, épicés, des couleurs, des odeurs, c’est tout cela une ville qui vit, qui bouge et remue. Telle la Garonne, Toulouse n’est pas ville endormie, mais ville de vie. Quel que soit le moment de l’année, mois d’hiver comme mois d’été, printemps ou automne, c’est toujours du monde dans les rues, aux terrasses des cafés, des portes ouvertes sur le jazz à l’angle d’une place, d’autres entrouvertes sur des guitares rageuses sur les boulevards, musiques, chants et danses, rires et cris, partout la ville donne des signes de vie à presque toute heure du jour comme de la nuit. Et le fleuve dans tout ça ? Et bien, il coule, non pas des jours paisibles, non, des jours, paisible et d’autre non, il vit lui aussi. Il se gonfle de neige à peine fondue, il brunit ses eaux, les gonfle de tumulte, charrie des troncs ici et là déracinés, il vient laver les berges avant de s’apaiser, redescendre au creux de son lit, pour que sous un soleil de plomb, les âmes en peines comme celle en joies, viennent taquiner la muse ou l’élixir de houblon, assis sur l’ancienne chaussée. Des accents de guitare, des égoïstes mp3, des joueurs de carte, des réviseurs de leçons, des donneurs de leçons aux esprits embrumés par on ne sait quelle fée chimique, des grimpeurs de l’absolu tentant de gravir la paroi de brique, des baigneurs de soleil comme de simple touriste en pause de visite, c’est tout cela aussi, ma ville et mon fleuve en leur lieu de rencontre, d’échange et de partage.

L’approche de mai réveille bien de belles images. Des photographies prises à l’appareil neuronique, les plus belles, celles qui ne connaissent jamais le sépia…. Des envies de chaleurs, des envies de printemps mûr à en faire éclater l’été…. Rien ne sert de courir, il faut partir en juin….
- Dis, c’est encore loin juin ?
- Non, plus très, il suffit de passer par les ponts de mai et nous y serons vite !
- ça raccourcit, c’est vrai !
- oui, mais rien ne sert de se presser, l’important est aujourd’hui bien avant demain….

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