Dure journée...

Dure journée que cette journée-ci, celle des obsèques de ma grand-mère. Situation irréelle et bien réelle pourtant, sentiment étrange de vivre sans le vivre réellement, tellement on veut se préserver, s’isoler de cette triste réalité, de cette douleur éprouvante et étouffante qui ne sait sortir qu’à travers des gouttes de rosée aux coins des yeux. Emotion contenue et qui ressort soudain, attirée, provoquée par un phrase, un mot, un prénom évoqué, une pensée, puis surtout, par l’amour d’un petit homme qui coule à flot de ces yeux trop grands, trop beaux, trop habitués à être vus malicieux. Le lien qui unit les grands-parents à leurs petits-enfants est déjà complice, mais là, ce lien là, entre arrière-grand-mère et arrière petit-fils, j’avoue qu’il est plus que fusionnel. 80 ans d’écart, mais une complicité, une malice, un besoin insoupçonné de savoir ou est l’autre, ce qu’il fait. Pas une visite à ma grand-mère sans avoir droit à la question : « et le dur, qu’est-ce qu’il fait ? » Pas une retour de visite sans avoir droit à la question : « Et mémé, comment elle va ? »

Bien sûr, ces questions ne sont pas innocentes, bien sûr ces questions ne sont pas infondées, mais ce sont là, la naissance, le résultat, d’années, de mois, de journées passées ensembles. Un mère, ma mère, qui cesse progressivement ses activités professionnelles à mi-temps, et qui choisit, les moments de libertés ainsi générés, de les partager, avec sont petit-fils tout juste né, au lieu d’aller chez la nounou, il sera chez sa mamie, la vie est parfois si ingrate, si imprévisible, si courte aussi, qu’il faut savoir profiter de ces liens de sang dès qu’ils naissent. Et puis, sa mère, ma grand-mère, veuve et solitaire, pourquoi ne pas en profiter aussi, d’aller la chercher, de lui faire partager ce bonheur là de voir grandir, de voir éclore et s’épanouir ce petit bout de chou, maillon de la chaîne de la vie, maillon de la chaîne familiale ? Equation simple de la relation : Une mère chez sa fille, un petit fils chez sa grand-mère, ce qui donne un arrière petit fils grandissant dans les bras de sa mémé, ma mémé, notre mémé, car, de ce temps-là, nous ne nommions pas mamie, ces êtres extraordinaires, qui ont oublier la rudesse à l’envol de leur enfant, qui savent raconter les bêtises faites par les parents aux petits-enfants. Personnages démystificateurs de tant de mythes. Et oui, ces parents qu’on voit comme des héros, ne sont finalement, que de vilains garnements ayant grandis… Et puis, pareils pour les oncles et les parrains ! Ce fameux voile posé sur nos bêtises d’enfants, histoire d’éviter de susciter l’exemple par exemple, ce voile-là, voilà t’il pas qu’une grand-mère le soulève et dévoile ces secrets bien gardés…. Une grand-mère, d’accord, mais lorsque c’est une arrière grand-mère, alors-là, la magie est encore plus grande !

Des années ainsi passées, des heures ainsi partagées, un lien indéfectible que seul la mort peut briser, du moins, dans cette vie réelle là, tellement les liens sont ancrés dans le cœur et la mémoire, tellement les souvenirs seront prendre le relais pour briser l’absence trop réelle. Cela, mon neveu, mon cher filleul, tu ne le sais pas encore, car jusque là, tu n’avais pas connu de chagrin d’amour. Ces larmes qui ont rougies et gonflées tes yeux, c’est tout l’amour dans cette phase réelle et physique qui s’enfuit. Rassure-toi, cela ne suffit pas à assécher le cœur, même si parfois, nous en avons l’impression. L’amour que tu as pour mémé, il reste bien ancré dans ta mémoire et dans un coin de ton cœur. Ce que tu as connu là, c’est bel et bien, ton premier chagrin d’amour. Tu viens de perdre la première femme de ta vie d’homme. Je ne te dirais pas que tu t’en consoleras, car je ne veux pas te mentir. Nous sommes entres hommes, toi et moi, et je sais, par expérience d’homme que je suis, que rien ne s’efface, surtout pas ces liens si forts d’un amour si vrai.

Mémé est donc partie. Il y a bien des belles choses qu’on raconte, aux petits et aux grands, des beaux voyages vers des beaux paradis, des vies éternelles ou nous retrouvons ces êtres aimés. La réalité est toute autre, et tu l’as vu, car tu voulais la voir, peut-être bien à tes dépens. Un corps sans vie et froid dans une pièce froide et sans vie. Un cercueil de bois blond qui en ressort. Costume de bois pour une dernière demeure. Choc visuel pour néophyte des choses mortelles de ce bas monde. Que de larmes, que de colères étouffées, que d’envies de galoper à l’autre bout de la terre pour ne pas voir, pour imaginer le retour en arrière, le retour à ces moments de beauté, de bonté, de bonheur… Tout cela, je le lis dans tes yeux, dans tes larmes, dans tes gestes, peut-être bien parce que moi aussi, j’en ai furieusement envie, peut-être bien parce que moi aussi, je suis comme cela, forgé des mêmes chromosomes, animé d’un même bouillonnement, d’une même violence qui n’étouffe pas une même sensibilité. Ce que tu ressens, je le ressens. Alors, je te comprends, je ne te brusque pas, je suis là, pour t’aider à franchir ce pas, lorsque toi, tu auras décidé de le franchir. Rendez-vous est pris pour vendredi soir. Soirée entre homme. Soirée, ou tu sais que je suis là, prés de toi, sans personne d’autre, pour parler, si tu veux en parler, pour discuter, comprendre, ces choses là apprises trop vite et trop brutalement, parce que la vie a aussi une fin, parce que la vie est ainsi faite, que nous ne partons pas tous dans le même train, et qu’il est toujours dur de rester sur le quai regarder s’éloigner ces gens qu’on aime, regarder notre cœur et nos souvenirs bien rangés dedans…

Colère aussi de la trahison. Et oui, personne n’a voulu te dire que mémé avait profité de la torpeur d’un samedi matin pour s’en aller sur la pointe des pieds, sur la pointe d’un souffle, comme quand elle sortait de ta chambre après être aller vérifier que tu dormais bien… Comme elle sortait de ma chambre après avoir vérifier que je dormais bien… Personne ne t’a annoncé la triste nouvelle, pour ne pas te gâcher ton séjour à la neige. Tu sais, même mémé n’aurait pas voulu te le dire, par contre, si c’est vrai qu’il y a une vie là haut, elle doit bien en rire, tu la connais, de ce vilain tour joué ! Mais, ce qui doit lui faire encore plus plaisir et encore plus sourire, c’est de savoir qu’ici bas, les hommes ont su organiser que son départ officiel ne soit programmé qu’après ton retour, histoire que tu l’accompagnes, car tu sais, elle devait tout de même avoir un peu peur. Et puis, dans cette boite oblongue aux couleurs chaudes, il y a près d’elle, deux ou trois photos de l’amour de sa vieillesse, il y a surtout le parfum d’une rose qui l’enivre à jamais. Sur les pétales de cette rose, il y a des gouttes de rosée, celles qui ont brillé à tes yeux aujourd’hui. Et puis, je suis sûr qu’elle est très fière de son petit bonhomme, de son dur si taquin et si câlin, très fière aussi de t’apprendre là ce qu’est un chagrin d’amour.

Mon petit bonhomme, des femmes traverseront ta vie, certaines y sont bien présentes aujourd’hui, ta mère, ta grand-mère, des amies, une est partie à jamais. A jamais ? Non ! Elle est et elle sera toujours dans ton cœur, dans nos souvenirs, dans les photos de l’album comme dans les photos posées sur la télé, comme sur la photo d’une pierre grise. Cette pierre grise qui recevra tes larmes, nos larmes, car c’est là que le corps demeure, mais le plus important, restera la pensée, les pensées. Tu es au tout début du chemin, tu as grandis avec tout pleins de mains pour te guider dans tes premiers pas. Aujourd’hui, il y a l’absence à gérer, la douleur d’un départ sans bisous d’au revoir, le regret de ne pas être là quand on aurait pu y être, le regret de ne pas avoir le pouvoir de garder éternellement nos êtres chers prés de nous à jamais. Et bien vois-tu, c’est là la fausse route. Car, de nos défunts, nous ne perdons que l’enveloppe charnelle, certes, c’est elle qui réchauffe, qui nous prend dans les bras, qui nous glisse des millions de bisous, mais le plus important n’est pas la matière mais l’esprit. Tu as grandi aux côtés d’une femme, son chemin s’arrêtait ici, toi, le tien, est encore long et beau. Il ne doit jamais te faire oublier que les premiers mètres, tu les as fait avec elle, avec d’autres qui demain s’arrêteront à leur tour.

Tu vois, la vie est un train. A chaque gare descendent des voyageurs, des gens avec qui nous avons échangé dans le wagon, des gens qui nous ont attendri, ému, appris aussi ce qu’est la vie. Ces gens là, ne remontent jamais dans le wagon, ces gens là ne seront pas à la prochaine gare, ni aux suivantes. Mais ces gens là, laissent derrière eux et autour de toi, leur parfum, leurs souvenirs… Là, tu viens de traverser ta première gare. Mémé est descendue, sans vouloir nous réveiller pour nous dire au revoir, mais je suis sûr que de son sommeil, elle a glissé un baiser sur ton front avant de disparaître sur le quai. Tu es orphelin de ton arrière-grand-mère comme je suis orphelin de ma grand-mère. Le plus important désormais, c’est de grandir sans oublier les pas faits à ses côtés, ne pas oublier ses racines et emporter à jamais graver dans nos cœurs, son sourire et sa bonne humeur. Personne ne séchera tes larmes, personne ne te prendra tes larmes. Toi seul maîtrise tes émotions, et il n’est pas interdit de pleurer lorsque tu penseras à mémé.

Voilà, ce que je voulais te dire, voilà ce que je voulais écrire pour toi, pour mémé. Mes yeux sont embués, mes joues sont mouillées, ma gorge est serrée en écrivant cela, en pensant à toi, à mémé, à cette triste journée. Une page se tourne. Cela n’empêche pas d’aller la relire de temps en temps, puisqu’elle est à jamais gravée dans nos cœurs. Il y a désormais des lieux, des repères qui n’auront plus jamais la même saveur, les mêmes odeurs… Il y a la vie, et ça mon grand, c’est un sacré train, d’ailleurs, ne parle t’on pas de train de vie ?

Je t’embrasse très fort et tu sais que je suis et serais toujours là pour toi, pour discuter, pour rigoler, pour jouer, pour t’aider à avancer dans ta vie.

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