Adieu mémé

Triste jour que ce jour ou je te perds toi qui fut une des femmes de ma vie. Triste jour que ce jour de chandeleur et de crêpes, ou voilà bien le crêpe recouvrir à jamais ton image. Triste jour. Ce matin, tu nous as quitté. A jamais. Un dernier souffle, pas de cri, ton corps, tes poumons, n’en avaient plus la force. Pendant que moi j’allais gaiement après une période morose, gravir les pentes enneigées au blanc immaculée, ton cœur s’arrêtait à jamais, ton corps blanchissait, triste parallèle entre nos vies pas toujours parallèles… Le blanc contre le blanc. Oui, je suis parti pour cette journée de randonnée à raquettes, sans trop d’envie. Triste pressentiment ou simple usure de l’homme ? Depuis déjà une semaine, ton corps dormait, ton cœur battait encore mécanique. Appel ? Dernier appel ? Je sais que mes parents sans relâche sont venus te voir, guetter un réveil, un dernier sursaut dans cette vie bien accomplie. Je sais aussi que d’autres, enfants ou petits-enfants, arrière-petits-enfants, ne sont pas venus, pour diverses raisons qu’il ne sert à rien d’essayer de justifier…

Avec toi se tourne une page de nos vies à tous. Dernière branche de la ramure de notre arbre généalogique, tu t’es tue à jamais… Un pan de l’histoire familiale est partie, une page de notre histoire à nous, humbles survivants, est définitivement tournée. Au revoir mémé. Au revoir, car je ne sais ce qui suit cette étape, ou la vie quitte le charnel. En pensant à toi, je repense bien sûr à pépé, qui nous a quitté il y a plus de vingt ans… Vingt ans, symbole d’amour, de jeunesse, vingt ans passés dans une vie, faites d’étapes comme toutes les vies… Mémé et pépé vous voilà réunis à jamais. Sous la froide pierre d’un humble caveau, sous la dalle grise, dans ce cimetière de ce petit village du Lauragais autour duquel votre histoire, et bien sûr, quelque part, notre histoire, à tourné. Nos racines sont plongées dans cette terre, dans ces vallonnements naturels, dans ces paysages pas toujours bien compris.

Mémé et pépé. Des noms aujourd’hui usés à jamais, vous qui n’aviez pas voulus être papy et mamie du temps ou cela n’était point une mode. Des souvenirs, bien sûr, de ces quartiers qu’on qualifiait de populaire avant des les nommer banlieues difficile. De ce Bagatelle, tant décrié ici, aujourd’hui, dans notre ville rose. De la rue de la Charente, à la rue Vestrepain, des années d’enfance au souffle destructeur d’AZF, des vacances dans la maison d’Alzen, des repas de famille dont on ne se doutent jamais assez qu’ils sont quelques part les derniers, les rares moments privilégiés de nos vies, de cette maison de retraite, véritable mouroir ou nous sommes venus te chercher, te déménager dans cette autres maison de retraite si humaine, au personnel si dévoué, ou je t’ai vu, attendri, réconforté, marcher un beau jour appuyée sur une seule canne… Bien sûr, il y eu des tempêtes, des étapes difficiles, mais la vie n’est rien sans ces nuages de l’amour, ces brouilles familiales, ces effondrements soudain de la santé, ces choses si intenables.

Je me souviens encore de la valise verte remplie de jouets, j’entends encore , pour toujours, à jamais, le bruit sec et métallique des serrures qu’on déverrouille de nos mains d’enfant, pour jouer sur le lino de ce taureau de plastique aux cornes tournantes, de ces estafettes de pompiers et de gendarmerie partagées avec mes cousins, se croisant dans cet appartement. Je le revois ce trois pièces, ces meubles, cet espace immuable. Je revois le fauteuil de pépé devant la fenêtre, j’entends encore s’égrener les secondes du jeu des mille francs auquel il était assidu. Toi, tu vaquais dans l’étroite cuisine, vaisselle, nettoyage, placard et table en formica, corbeille de fruits, boites de médicaments, odeur de Ricoré…

Nous sommes nous bien compris ? Ai-je seulement compris ton amour ? Le saurais-je jamais ? Pépé est parti la veille de mes épreuves de BTS. Ce jour là, hasard, si cela en est un, je me suis trouvé devant votre appartement alors que ce n’était point ma route. J’ai filé sans m’arrêter pour regagner le lycée et ses dernières révisions. Je savais qu’il devait rentrer en clinique l’après-midi, que maman y serait, comme toujours ces derniers jours, que je pourrais passer le voir dans sa chambre de clinique… Ce jour là, il est parti… Regrets d’un dernier au revoir ? Oui. J’ai passé mes épreuves de BTS en passant très fort à lui, cet homme, cet amour non compris. Qu’il est dur d’avoir l’âge de ne pas comprendre ce que sont nos racines et nos vies. Est-ce le même pressentiment qui m’a fait douter d’aller ce jour en raquettes ? Je ne sais pas, nous autres pauvres hommes dits modernes, nous avons oublier notre sixième sens.

Seule, tu as vécue. Nous sommes venus te voir, te chercher, tu as partagé toutes les étapes de nos vies et surtout les plus belles, les arrivées de tes petits enfants, un surtout, qui a toujours été cher à ton cœur, pour qui tu es et tu resteras chère à son cœur, et qui bien sûr est cher au mien, car il est ma seule descendance, même si elle n’est que transverse. Je revois ta présence, ton rayonnement dans cette chambre aux murs bleu décrépis sous le dôme protecteur de la Grave, ou on résonner ses premiers cris. Je te revois dans les murs de la maison familiale, jouant, t’amusant, t’étonnant toi aussi de ces progrès…

Point de jalousie, non, de simples regrets de n’avoir point compris, que ce que tu vivais là, tu l’avais vécu pour nous, pour moi. Combien de fois t’ai-je fais bisquer ? Aussi loin que ma mémoire brumeuse remonte, je vois, je revis, ces moments d’insouciance dans la pierre des mus de ma maison de cœur, dans cette humble ferme ariégeoise ou nous passions les été, toi, pépé, mon cousin, ma sœur et moi, semaines ponctuées par l’arrivée des parents le week-end, semaines passées au grand air sans comprendre, sans réaliser, que se mettre à table est le résultat de ton travail à nourrir la troupe trop souvent indisciplinée. Je revois aussi cette première année d’étudiant, ou je venais manger entre vous deux, coupure dans mon quotidien insouciant de mes vingt ans… Repas quotidiens qui te demandaient des efforts mal compris, moments simples de vous voir, vous embrasser, vous prendre dans mes bras, vous deux dont je ne savais pas encore l’ampleur que cela représente à mes yeux aujourd’hui.

Période de la jeunesse, ou il est plus important de voir les copains et les copines que la famille, période blessante lorsqu’un jour on réalise les regrets qu’elle occasionne. Période ou l’on se sent important, au nom d’un permis, au nom d’une liberté qui nous fait trop souvent oublier les siens. Ils ont toujours été là, pourquoi cela devrait-il s’arrêter ? Et pourtant, un jour, cela s’arrête…

Je viens de faire ma traversée du désert. Période morose ou on se repli sur soi, ou on ne pense qu’à soi. Période tutoyant la bêtise de vouloir attenter parfois à sa vie pour des broutilles. Cette vie, si belle, si riche qui aujourd’hui s’est enfuie dans ton dernier souffle. Il était 8H00, nous étions le 2 février 2008. Dans quelques jours, tu allais fêter tes 93 printemps ou presque puisque tu es née juste avant, le 8. Tu es né en 15, maman en 35, moi en 65, Florent en 95…. Etrange lien de chiffre, lien de sang tout à fait… De toi, j’ai appris mon patois, de toi, j’ai façonné certaines facettes de ma vie, de toi, tu sais j’ai déjà parler ici, toi, une des femmes de ma vie. A toi, à pépé je pense. J’ai la chance de vous avoir connu, j’ai le regret de vous avoir délaissé par ignorance du terme de la vie. A vos enfants je pense, à l’aînée surtout, car cette ma mère, orpheline désormais, la seule à pouvoir encore éclairer les recoins sombres de ma mémoire défaillante et ignorante, dans ma vie d’homme à la recherche de son passé…

Au revoir mémé, à jamais. Tu sais, même si la pierre grise ne voit pas mes larmes, cela n’empêchera pas mes pensées d’aller vers toi, vers lui, vers vous deux réunis à jamais, dans la terre comme dans mon cœur. Il est peut être trop tard pour dire je t’aime à la femme aux cheveux blancs qui reposent sur son lit immaculé. Il n’est jamais trop tard pour parler à son âme, pour penser à elle, pour témoigner longtemps à tes petits-enfants, à tes arrière-petits-enfants de ces personnages qui appartiennent désormais au passé.

Adieu mémé, je t’aime avec toute l’admiration d’un homme qui comprend aujourd’hui, ce qu’est la famille, ce qu’est une généalogie, ce qu’est cette page qui se tourne à jamais. Bisous à pépé, bisous à vous deux… Je vous aime, ici comme hier, là, comme autrefois, demain comme maintenant.

Maman, de tout cœur, avec toi, cette page, ta page, ton histoire, mon histoire, même si elle se tourne sous cette forme charnelle, n’en demeure pas moins éternelle…

AMEN

1 commentaire:

Anonyme a dit…

je partage ta peine car comme toi j'ai perdu ma mamie et ma mémé sans avoir su leur dire mon amour

bisous à toi

belle amie