Communion

Boulot. Ce coup-ci, il y a enfin un fonctionnement cohérent : la météo est plus grise pour ce lundi après deux jours magnifiques de week-end ! Samedi, balade donc, et dimanche occupations saisonnières au jardin : opération taille des arbres et de la végétation. Phase délicate ou la main de l’homme impose sa vision de croissance désirée à la plante. Mon grand-père me disait souvent : « le premier qui a taillé un arbre était un âne ! » Sans que je sache ce que cachaient ces mots-là, dans toute l’indifférence de l’enfance, ou on grandit très loin de ces activités arboricoles et potagères. Le jardin n’était pour moi que terrain de jeu, source de corvée d’arrosage, dont j’essayais de tromper la monotonie par la flottaison de tout objet possible, voguant tels des vaisseaux impétueux bravant les océans démontés à travers les rangés de haricots verts ou autres tomates. Que de choses dites par mes parents et mes grands-parents, que de choses entrées et sorties aussitôt de mon esprit encombré par des cabanes imaginaires, des indiens emplumés, des billes aux reflets magiques, de voitures plus rapides les unes que les autres…

Aujourd’hui, à chaque fois que je saisis le sécateur, à chaque fois que j’essaie de m’occuper un peu de mes arbres et de mon jardin, ces mots résonnent en moi. J’essaie de me remémorer toutes ces phrases, ces dictons, ces enseignements gratuits et non consignés hélas dans des cahiers ou des livres, ces choses qui ont pourtant un jour ou l’autre, souvent plusieurs fois même, transitées par mon cerveau. Que voulait dire ces mots simples ? Est-ce que le premier homme a eu tort de tailler les arbres et de vouloir contrarier et surtout contraindre la nature ? Ou bien, est-ce que le premier à saisir le sécateur, ne bénéficiant d’aucun enseignement, d’aucune forme de démonstration, de parrainage, a du comprendre, interpréter, réfléchir, se mettre à la place du végétal pour effectuer au mieux cette taille ? Ma nature expérimentatrice me fait plutôt pencher vers cette deuxième solution. Plutôt que de tenir le livre d’une main, de compter les yeux, les bourgeons naissants sur la branche pour ensuite aligner le sécateur à 45 degrés et tailler, je préfère observer, réfléchir, analyser. Si je taille ici, c’est bien ce bourgeon qui prendra la force, donc la branche jaillira de ce côté, donnera cette forme à la ramure… Là, je joue la sécurité, je laisse deux ou trois bourgeons en cas gel, d’oiseaux gourmands venant picorer là mes espoirs végétaux…

Comprendre plutôt qu’apprendre et réciter, réfléchir plutôt qu’obéir aux ordres… Oui, je sais, je n’aurais pas fait un bon soldat, d’ailleurs, la grande muette m’a rejeté dès les premiers tests. Que voulez-vous, 34 sur 34 aux tests, ça faisait désordre pour une organisation ou il faut obéir sans réfléchir… Tant mieux, à chacun son mode de fonctionnement. Analyser, entrer quelque part en communion avec la nature, se mettre à la place de la plante, ne pas se battre contre mais quelque part, s’unir, fusionner, aller ensemble vers un même but. Laisser parler son bon sens, arroser le soir ou le matin plutôt qu’en pleine chaleur, arroser beaucoup et de manière espacée, plutôt que peu et en continu, observer, corriger, ne pas traiter à outrance à titre préventif, laisser aux plantes le soin d’agir d’elles-mêmes, les y aider, plutôt que de les irradier. C’est dans tout cela que je regrette amèrement les leçons de mes grands-parents que mes oreilles d’enfants n’ont pas pris la peine de communiquer à mon cerveau d’écervelé…


Aujourd’hui, plutôt hier en fait, à chaque geste, à chaque coup de sécateur, chaque coup d’œil aux ramures de mes arbres, c’est à eux que j’ai pensés, et ces pensées me guident à tracer mon chemin, faire ma propre expérience en essayant de me souvenir des mots, des gestes vus en entendus… Erreur de transmission ? Peut-être. C’est ainsi et rien ne peut en changer le cours. Demain, qui sait, je transmettrai à mon tour. Si la vie m’y autorise, j’expliquerai les gestes, les us, les coutumes d’un temps qui sera alors révolu… Je le ferai bien volontiers, dans une continuité généalogique en songeant alors à mes parents, mes grands-parents, en souriant avec malice aux épisodes du temps… Hier est vécu, aujourd’hui est à vivre, demain à écrire avec les acteurs de ma vie. Je me sens pour tout dire apaisé, prêt à vivre aujourd’hui, enfin presque aujourd’hui, cette nouvelle période de ma vie.

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