Il
existe là-bas, une page blanche posée sur une vieille table de bois et tout
près d’elle, un vieil encrier, non, ne riez pas, c’est là comme un défi au
temps, une page encore vierge et une encre encore fluide toute proche de
s’associer mais elles n’ont pas encore franchi le pas. Pas le pas de la porte,
non, la page s’envolerait sous les souffles d’Eole, l’encre coulerait et
imbiberait le sol jusqu’aux pluies d’un soir plus gris, cela n’aurait aucun
sens. La porte est en bois, vieux bois élimé par les éléments, et limé par
l’homme de temps en temps, histoire de fermer encore convenablement, à en juger
par l’aspect, la porte et la table doivent être de même génération. Mais si la
porte est étanche, le soleil entre par une petite fenêtre, elle aussi d’un autre
âge, usée par les vents, aux carreaux ternis par les embruns, décorée de
quelques toiles d’araignées cherchant la pitance en cet endroit. Les murs sont
en pierres, solides et épais, ils résistent contre vents et marées, depuis
temps et temps d’années… Une cabane, une maisonnette, un refuge, un abri contre
les jours d’intempéries, contre les jours gris, contre les jours de gris, un
coin où il fait bon s’asseoir, sur le banc, devant la table, devant la feuille
et pourquoi pas écrire de cette encre violette qui fleure bon tant de souvenirs
d’enfance.
L’exercice
est délicat, de nos jours, les ustensiles sont autrement plus serviles et
dociles, ils se retiennent d’exploser en tâches multiples, de couler et de
faire des pâtés, ils glissent tout doucement sous la main experte de tant
d’années d’apprentissage à leur contact. Ecrire à l’encre, c’est d’abord
choisir sa plume, petite boite de plastique vert dans laquelle se cache
parait-il un sergent major, en tirer une plume pas trop oxydée, pas trop
abimée, pas trop pliée, puis l’enficher sur le porte-plume en plastique orange,
qui semble en avoir vu des tonnes si l’on s’en réfère aux traces d’encre sur
son corps. Commence alors le travail de chauffe, après un délicat mouillage, la
plume jette l’ancre sur un bout de papier, elle vide son encre à coup de pleins
et de déliés que la main essaie de lui faire tracer en virtuose. C’est pas
gagné mais le son en vaut la chandelle, la calligraphie s’apparente aux dessins
et les mots partent à dessein vers leurs nouveaux destins. Cela va bien pour
les titres, tout au plus quelques lignes de-ci, de-là. Disons que pour la
pleine écriture, c’est un tout autre trésor qui en sera complice, posons-là le
sergent major et toutes ses plumes, et tirons du plumier de bois, ce corps
lisse et oblong dont le capuchon se dévisse lentement dévoilant une belle plume
dorée. Dévissons un peu plus haut et voici que le corps de bakélite révèle en
ses entrailles une bien étrange seringue, ou plutôt, un piston dont la tige
chromé aspire à son corps défendant tout ce qui veut bien entrer dans le
réservoir de verre transparent. Repoussons les limites et par la même occasion
le piston, puis partons en plongée dans le bocal d’encre, oh ! Point trop
profond sous peine de nettoyage fastidieux, non, trempons juste la plume comme
pour tâter du terrain et voir un peu la température. Là, sans relever la plume,
tirons délicatement sur la tige chromée, et observons l’encre s’élever dans le
réservoir. Il y en a assez, sortons la plume de son bain, puis approchons là de
ces fantastiques buvards, sortes de « bois sans soifs » révélant des
maximes publicitaires ou d’autres messages inversés selon leurs états de
fraicheur. Une belle tâche apparait aussitôt sur le rouge délavé du papier
buvard. Voilà que la plume est prête pour des kilomètres de lettres parfois
reliées, des mots en cadence selon la tempérance de l’auteur. L’exercice est
plus leste, les mots plus rapides, l’encre toujours aussi violette, la feuille
de moins en moins vierge, tout cela hors du temps, dans cet endroit hors d’âge,
et si parfois les mots voyagent et les lettres semblent dessiner comme des
vagues, c’est bel et bien des vagues qui dessinent l’essentiel du paysage où
des bateaux voyagent.
Ce
n’est pas un moulin, tout juste un abri côtier, niché dans un bout de falaise,
suffisamment escarpée pour ne pas être trop fréquentée, suffisamment caché pour
ne pas être visible, un endroit tranquille où les pensées voyagent du puissant
océan à quelques pages blanches, de vagues d’écume à quelques pensées envolées
sans jamais être prisonnières de quelques écrits. L’exercice n’est ni simple,
ni compliqué, et au fond, ce n’est pas un exercice, du moins pas dans le sens
strict et contraint que l’on nous a que trop souvent rabâché. Peu importe de
savoir si les muses sont aériennes ou océanes, l’essentiel est bien de se
trouver là, ici et maintenant, et si la patine a su polir chaque pierre, chaque
pièce de bois qui compose cet écrin, c’est parce qu’au fond il ne sert jamais à
rien de s’accrocher quelque part mais au contraire de courber l’échine et de
laisser glisser les mauvais temps sur soi, mieux vaut profiter des beaux jours
à venir et il y en a toujours…
1 commentaire:
Beau voyage et belle expérience que l'écriture à la plume. Patience et amour de l'écrit sont ici requis.
Natacha.
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