Voyages en bus

Voyage en bus. Départ au petit matin pour un week-end de randonnées. Moment spécial entre individualité et collectifs, sourires, mots échangés, rires, plaisir d’être, être là, détente, loisir, plaisirs. Ma place dans le bus, au fond, banquette surélevée, visibilité maximale, voir, ne pas être étouffé par le dossier de devant, profiter d’un champ visuel sans limite ou presque. Peut-être les mêmes raisons qui me faisaient quitter la trace, sortir parfois des pistes et prendre de l’altitude, voir d’en haut les autres, le monde, les paysages, lorsque j’allais au ski. La même chose en randonnées, lorsque de deux sentiers je prends celui qui s’élève. Voir d’en haut comme l’oiseau qui plane sur les plaines scrutant la vie terrestre. Voir et s’isoler, plaisir solitaire de la contemplation. En écrivant cela je repense à mes années d’enfance, mes courses solitaires dans mes montagnes, que ce soit lors de ces week-ends où parents et amis œuvraient à retaper la vieille ferme, vaisseau de pierre accroché à ma mémoire, racinée dans mon cœur, tant de durs labeurs, non mécanisés, du béton à la pelle à même la route, des pierres à deux livres par kilo comme disait mon père, des efforts non comptés par les adultes, du travail des adultes non réalisés par l’enfant que j’étais. Moi, mon travail d’alors consistait à parcourir le vaste monde qui allait au moins jusqu’au champ d’à côté, de voir vivre et de m’intéresser aux faits et gestes des autochtones, les écouter parler puis converser avec eux, découvrir des mots d’un patois presque semblable à celui familial. Est-ce de là qu’est né mon instinct de sociologue ? Petit à petit les limites se sont espacées, peut-être dans le même temps que mes pas m’éloignaient des pierres usées de la maison déjà centenaire. Est-ce-là qu’est née ma passion de la randonnée ? Mes pensées voyagent sur ces terres ariégeoises, mes terres ariégeoises, écrin d’enfance et de liberté, courses digne des plus grands explorateurs, ivresse des découvertes. Le bus traverse les vignes des corbières scindées en deux par ce long ruban d’asphalte presque rectiligne. Des paysages tant aimés aussi, plus tard, lorsque j’ai aimé vraiment et entièrement, dans une dimension première une belle étrangère à mon monde d’alors, une douce personne qui a su me faire découvrir combien ces austères paysages que le regard trop pressé des touristes trop pressés ne voit que comme alignement de vigne, arides collines alors que ce décor recèle tant de trésor. Heureux qui sait voir, prendre la peine de voir, de vouloir apprendre, comprendre, découvrir, s’enrichir. Au-delà des racines familiales, il ya les radicelles qui ont poussées, qui sont venues tisser une toile de sourire, de plaisir, par et pour des lieux, des choses découvertes, comprises et apprises. Rencontre de deux espaces temps : mes souvenirs d’enfance se télescopent aux souvenirs d’avant-hier, mes montagnes ariégeoises viennent s’associer à la montagne Alaric. Aucune nostalgie, profusions de souvenirs. S’y ajoutent de belles images plus récentes, un village, des vieilles pierres, la nature, le relief, une cascade en but de balade, la découverte d’un coin d’Aveyron en d’autres plaisirs. Je n’oublie pas non plus mon cœur océan, celui de mes premières vacances, camping, caravane, populaire et convivial, puis les retrouvailles, à l’âge où ont poussé les yeux d’adultes. Mon regard vient de croiser un bouquet d’oliviers chers à mon cœur, un coin de décor que je retrouve avec plaisir, des rires en tête, joies agraires entre amis, bières appréciées et grillades au feu de cheminée dans un autre vaisseau de pierre, sans jeu de mot autre qu’un affectueux clin d’œil à maitre Pierre…. L’esprit voyage, de pierres en Ariège en pierres en corbières, de pierres en Aveyron aux rochers couvert d’écumes de mon bel océan.

Je suis de partout et de nulle part. Citoyen du monde, terrestre extra-terrestre, voilà que le bus profile la Clape dans son pare brise, autre montagne de souvenirs. Mes jeunes années. Des samedis à la mer familiaux, dont la jeunesse de mes neurones ont perdu la trace, trahi pas quelques photos noir et blanc dans un album haut en couleur. Je suis né en noir et blanc, cela semble dérisoire aujourd’hui, j’y pense en évoquant mon album photo, le noir et blanc était notre couleur, photos, télévisions, monde archaïque aux regards actuels mais notre monde, mon monde. Je quitte la nature pour la technologie. Mon baladeur me remplit les oreilles du dernier album de Grand Corps Malade, Enfant de la ville. Aux sons des mots choisis je réalise qu’au-delà du côté rural et très nature des pas décrits ici, je suis moi aussi un enfant de la ville. Souvenirs de mes grands-parents vivant en immeuble d’un temps ou on ne disait pas HLM, encore moins quartier défavorisé, une époque où la ville, ma ville avait dimension humaine, et où l’humanité était plus humaine. Mes racines sont donc là. Urbaines et rurales, Urbi et Orbi, ma ville et tout plein de satellites autours. J’aime cela, découvrir, partager, faire partager, et, chose nouvelle, j’aime ma vie même si parfois encore j’y cherche un sens. Les chevaliers cathares sont debout à l’horizon, les paroles de la chanson de Francis Cabrel résonnent dans ma tête. Bages, la nautique, Narbonne, virage vers l’est, Béziers plutôt que Perpignan, combien de coup de volant ai-je donné ici ?

Le sens de ma vie. N’a accompli sa vie que celui qui a planté un arbre, fait un enfant et construit sa maison dit la maxime. J’ai planté bien des arbres, tout comme je me suis bien planté…. J’ai acheté une maison plutôt que d’en dresser les murs, j’ai vu grandir bien des enfants, des miens sur des missions d’intérim, colonies, vies de couples, puis la chair de la sœur de ma chair, petit bout qui pousse depuis déjà quinze ans…. Mes choix de vies ont dicté les choix de la vie. Je mesure, j’intègre et j’accepte cela, je m’apaise aussi et surtout de quelques regrets désormais eternels. Une paix acquises après des années de luttes contre le plus grand ennemi que l’on n’a jamais : soi-même. Je ne sais plus s’il faut dire de guerre lasse ou las de guerres. Combats futils et inutiles, combats contre des moulins à vent, des personnes qui ne changent pas, qui ne changeront pas, des discours dont on connait par cœur les réponses, cela fait froid dans le dos autant de prévisibilité, aucune envie de maintenir cela, couple ou autres amicales relations, l’échange nait de la diversité, de l’inattendu…..

Quelques jours de randonnées dans la Gard, une coupure, une bouffée d’oxygène, découverte de terres inconnues, avec tout de même une forte similitude dans les paysages avec mes paysages D’Alaric, même flore, même ruralité, si ce n’est des maisons plus cossues, donnant une décor moins austère….. Mais cela, je vous le conterai plus tard……

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