Le jour où le soleil ne s'est pas couché

En cette fin de journée, qui est aussi la fin d'un long week-end, allez donc savoir pourquoi parfois les choses se cumulent ainsi, tandis que la côte se vide de son sang dans le défilé rapide des voitures plus brillantes les unes que les autres, ce sang mélangé de tant d'origine, de tant de provenance, de tant de vies venues passés ici cette période de presque été, bref, tandis que chacun s'en retourne vers son domicile principal dans un mouvement unitaire qui sait à lui seul construire les bouchons de nos routes, je profite de mon contre courant pour aller voir ce soleil encore aujourd'hui si ardent se coucher sur les flots assagis de l'océan. Appareil photo emporté, je marche le long de cette piste connue et reconnue, en songeant au week-end passé, aux choses faites, aux êtres chers à mon cœur qui sont quelque part sur un bout de route ou déjà bien arrivés, sans que je le sache, non pour le savoir en soi mais par affection, ces sentiments qui font qu'on aimerait que tout aille au mieux pour tous ces personnages qui peuplent nos vies dans le cercle intime et premier. Dans les mêmes pas, les idées fourmillent, de textes, de mots qui se dessinent et se délient pour former d'autres sons qui sonnent d'autres mots, des pensées personnelles, car même une pensée impersonnelle est avant tout personnelle, puisque ici de neurones qui sauf erreur nous ont tout de même personnelles. Et puis, j'imaginais déjà, ce soleil se coucher sur l'océan dans cette si belle lumière entre orange et rouge, entre lumière saturée et ombre profonde, révélant l'ocre si particulier de ce sable si particulier, je me demandai comment ce nouvel appareil photographique allait saisir tout cela, comment serait le résultat de cette douce alchimie entre nature, œil humain, prise de décision pour paramétrer l'outil photographique puis déclencher la prise de de vue, fixer dans l'objectif cette fraction de seconde dans un processus qui s'accélère sur la fin. J'imaginais aussi tout simplement ce spectacle vu plusieurs fois mais toujours différent, à l'acteur unique, dans une trajectoire unique et sans cesse répétée, il entame sa lente descente depuis son apogée, semble ne plus bouger avant d'approcher de ce point qu'on nomme l'horizon, où le ciel s'unit à l'océan, dans un ligne légèrement courbe trahissant l'embonpoint de la terre, et là, les lumières changent, les couleurs explosent et exultent dans la gamme des oranges les plus profonds et les plus vifs, et là, la vitesse s'accélère comme si l'astre fatigué était pressé de se coucher là bas, derrière l'océan, tout au bout du monde, hors de portée de nos regards fixés ici. Combien de fois suis-je venu ici? Combien de coucher de soleil sur ma plage déserte, ce bout de nature perdue dans la nature sauvage d'une côte parfaitement déserte, naturelle, hors d'atteinte du béton et des immeubles dévastateurs de paysages? Les pensées voyagent, mais, sont-elles faites pour autre chose que voyager, ou plutôt, faire voyager?

Voilà le bout de la piste, le commencement du sable, même s'il est omniprésent ici, que l'on creuse pour les fondations d'une maison en centre ville, ou bien, plus naturel ici, ou la terre disparaît sous les flots nourriciers de l'océan. Voici la zone ou les pieds se libèrent de leur costume étroit, bon, pour ce coup-ci, la détente prévalant, ce ne sont que mes claquettes laissant libre aération à mes doigts de pieds que je n'ai jamais réussi à mettre en éventail bien longtemps. Le sable est chaud, doux, mouvant sous les pas, épousant les formes creuses de mes pieds, de sa texture si particulière, ni raffinée et fine comme en d'autres plages d'autres mers, ni grossier et trop proche du gravier comme en d'autres endroits de bord maritime. La végétation typique des dunes est bien installée, plutôt riche cette année, signe de réussite des travaux des hommes qui plantent et replantent dans l'espoir de voir enfin les racines s'étendre, tisser une toile qui saura retenir le sable malgré les vents trop forts. Il y a ces chardons plats et larges, gris verts comme beaucoup des plantes de sable, il y a ses graminées dont on orne si souvent les parcs et jardins désormais et qui de leurs feuillages graciles ondulent sou le gré d'Eole. Il y a la dune si pourtant toujours éprouvante pour les mollets lorsqu'il s'agit de se hisser pour s'en aller voir les flots. Je ne descendrai pas aujourd'hui au ras de l'eau, je préfère me poser sur le sommet, près d'une crête argentée, promontoire jonché de traces humaines, bouts d'arbres ballotés par les flots au point de les blanchir et de les user si régulièrement, bouts de plastiques issus de bouteilles et autres flacons jetés dans des décharges espagnoles, portés par les courants, déposés par les marées puis soufflés par les vents, triste constat que l'homme habite encore la planète terre, triste rappel que si tout est bien biodégradable, cela ne se mesure pas dans le même espace temps que la vie d'un humain. Assis là sur le sable, et non assis las, je ne suis pas fatigué de mon week-end, bien au contraire, entre sport et aventure, entre découverte et bricolage, entre marche et vtt, entre footing et balade j'ai usé mon temps, tester la machine dans ses rouages multiples, pousser le cœur à battre à fond, non par l'émerveillement d'une douce ensorceleuse mais par des courses contre le temps que l'on veut bien se fixer, dans un rythme dont on règle seul la cadence, à la recherche du point d'arrêt, non pas l'arrêt du muscle central, rien ne presse, mais l'arrêt par fatigue trop forte à endurer. Mais la machine va bien, peut-être même mieux qu'elle n'a jamais été, je ne suis pas médecin mais je connais tout de même mon corps, et les successions de courses d'un jour à l'autre, encore aujourd'hui en vtt dans le sable des pistes forestières, en poussant le jeu par la prise de vitesse et la gestion des dérapages qui du coup deviennent contrôlés me rassurent et me prépare à ce qui sera un défi futur, un besoin personnel d'atteindre un point là-haut, quelque part dans la montagne, une programmation non encore programmée, on appelle cela un projet, car c'est désormais comme cela que je vis, désynchroniser du ruban du temps, sans agenda ouvert qui impose de manger à sept heures, de poser ses congés en juillet d'un samedi à un autre samedi..... Je vis et je suis, je suis comme je n'ai jamais été, victoire sur l'inconscience qui m'empêchait de prendre conscience de ce que la vie est, de ce que la vie vaut, du temps qui passe et qu'il faut aider à passer plutôt de le combattre comme un ennemi héréditaire. Je suis donc là sur ma dune à attendre la lune, d'ailleurs la voilà dans son croissant grossissant, à attendre que le soleil se couche pour mitrailler sa chute et espérer le cliché qui fera la photo qu'on aime à partager.

Mais voilà que la brume envahit l'horizon, cette brume qu'on nomme entrée maritime, voilant le soleil, rafraichissant d'un seul coup l'épiderme et noyant tout espoir de beau cliché. Je tente tout de même, l'écran me renvoie de pales lueurs d'un jour qui se meurt, alors je range l'appareil, je contemple ce spectacle qui même s'il est différent du spectacle attendu, reste un spectacle magique. Alors je songe et me vient un message de tout cela : on calcule trop souvent les choses plutôt que les vivre vraiment. On visualise en nos têtes le résultat d'action plutôt qu'on ne vit le moment de l'action, on se projette trop souvent dans un avenir qu'on imagine le plus radieux possible, plutôt que de vivre pleinement l'instant présent.... On est trop souvent en position d'attente, une attente d'une chose merveilleuse et on oublie de vivre, on oubli que le plaisir n'est pas d'attendre mais de vivre en attendant, qu'il suffit parfois d'un grain de sable pour enrayer la mécanique céleste, mais à vrai dire, cela ne l'enraye pas, cela la dévie de sa trajectoire première, et si le but n'est pas le but fixé, le but surtout imaginer, il est quand même un but, atteint plutôt qu'à atteindre, un nouveau point de départ dont on doit tenir compte pour sa nouvelle trajectoire. En randonnée, on appelle cela une erreur volontaire, dans la vie, c'est trop souvent amorce de déception. Pourquoi être déçu? Il est au contraire très rassurant que les choses gardent un côté imprévisible, il est tout de même très enrichissant que rien ne soit défini comme on se l'imagine. Sortons de ce mode d'attente et vivons pleinement chaque instant, prenons comme un cadeau du ciel cette nouvelle issue, réalisons-nous au travers de tout cela... Ce qui compte par dessus-tout, c'est d'être en vie, c'est d'être envieux de demain, qu'on soit ici ou ailleurs, chaque jour apporte son trésor pour qui sait le voir et le cueillir.... Ce soir, le jour ne s'est pas couché, ou plutôt, il ne s'est pas couché de la manière attendue, et c'est là la leçon : n'attendons rien des autres, rien de précis, prenons ce qu'ils nous donnent, les plus beaux cadeaux sont les cadeaux non attendus.....

Aucun commentaire: