Partons

Cela faisait de longs mois que la demeure restait silencieuse. Les herbes folles dévoraient chaque jour un peu plus l’espace, elles grandissaient en toute liberté, envahissaient les massifs autrefois bien propres et bien taillés, elles avaient même réussi à pousser dans les interstices des trottoirs donnant un air de complet abandon aux lieux. La boite aux lettres rouillée débordait et vomissait ses prospectus commerciaux  à même le trottoir, quant au portail, il semblait à jamais fermé par les branches d’arbustes qui désormais le traversaient. Silence et opulence de la végétation, le vide et l’excès, paradoxe et complémentarité des mondes que l’on oppose sans savoir s’ils sont vraiment opposés. Il y a toujours une drôle de sensation de voir ces endroits autrefois si pimpants, si guillerets être aujourd’hui à l’abandon pour on ne sait quelle raison et l’esprit fourmille vite à en chercher la raison parmi le grand catalogue des raisons hautement probables. « La personne qui vivait là est-elle malade, partie dans un hôpital, un hospice, un centre, est-elle toujours vivante ? », plus rarement « a-t’ elle gagné au loto et est-elle partie précipitamment à l’autre bout du monde ? »     


C’est toujours triste de voir une maison se fermer et peu à peu se laisser dévorer par les herbes. Il suffit de faire quelques pas dans les bois autours des villages pour retrouver ces vieux murs, ces vieilles pierres que les arbres ont crevées et les lierres ont ébranlées, parfois lorsque le toit ne s’est pas encore complétement effondré, il subsiste quelques meubles, de vieux rideaux sans couleurs aux fenêtres sans carreaux, les vies ont fui le foyer bien plus qu’elles ne l’ont quitté. Pour quelle raison ? Par quel coup du sort ? Nul ne le sera jamais, et aujourd’hui il ne reste que des pierres alignées et moussues, des murs tombés, des emplacements d’habitations de moins en moins visibles. Retour à cette maison. L’herbe est haute, les arbustes non taillés depuis trop longtemps, les volets clos et la porte fermée. Pas de lumière, plus de fumée odorante sortant de la cheminée, le vide et le froid, l’effroi aussi de ce qu’on peut trouver. Faut-il en pousser la porte ? Personne ne semble s’en inquiéter, cette maison vide et tout aussi normale qu’une autre maison habitée, c’est là la logique de ce monde de plus en plus individualisé. La télévision, internet, les réseaux sociaux concentrent chaque jour un peu plus les esprits asociaux, on connait tout du dernier drame à l’autre bout du monde mais on ne sait rien de son voisin, de son collègue ni même plus de ses amis… Ah les amis….


Osons quand même bouger la grille, osons quand même traverser les herbes folles jusqu’à s’approcher de la porte. Bizarrement, elle n’est pas fermé à clé, et bizarrement, tout à l’air en ordre : quelques meubles couvert d’un duvet gris, une table aux chaises bien rangées, un odeur à peine renfermée, une obscurité à peine mise en évidence par le rayon de soleil que la porte ouverte s’en vient glisser à l’intérieur. C’est comme un coup de projecteur sur l’intime, il s’insinue et vient à présent éclairer le lieu du crime, une table recouverte de poussière, et dessus, un bout de papier, pas même une lettre, juste une feuille à peine jaunie, la pièce sombre et close a su la préserver. Sur cette page, il y a des mots qu’un stylo posé à côté a du tracer, victime expiatoire et complice anonyme de ces dernières idées. Ces mots, en français, disent à peu près ceci : 

«Voilà, c’est fini. Il n’y a plus d’histoire, il n’y a plus de quais, trop de trains sont partis emportant trop de gens, trop d’amis, laissant aussi et surtout trop de larmes, mais aujourd’hui, une larme, la dernière larme est tombée. Elle a jailli dans un dernier effort, puis elle a lâchement glissé sur la vieille joue ridée pour s’en venir lâchement étoiler l’encre fraichement couchée sur le papier. Il n’y aura plus de larme, car il n’y a plus d’ami. Il n’y a plus d’ami, parce qu’il n’y a plus de force, parce qu’il n’y a plus de moyens, les amis ça coute cher, surtout lorsqu’ils partent. Oh, ils sont gentils pourtant, ils partent sans bruit, sans vous déranger, ils vous laissent avec vos souvenirs communs, quelques photos débordantes de sourires et d’envies, quelques belles images, quelques histoires belles et tellement complices qu’elles vous en baignaient le cœur de sourires et de joies. A la place, ils vous laissent leurs silences, leurs distances et le cœur se déchire et se raidit de froid, il saigne bruyamment de ces silences, il pleure d’incompréhension, chaque image d’hier est une morsure dans le temps d’aujourd’hui. Voilà, c’est fini, il n’y a plus de joies, il n’y a que des questions à jamais sans réponses, les amis se sont envolés, un par un ils ont quitté le nid de l’amitié pour d’autres voyages, ils volent vers où le vent les portera, ils laissent derrière eux non pas des regrets mais une arme terrible, qui taille, découpe, arrache chaque jour un lambeau de chair. Puissent-ils être heureux dans leurs voyages, c’est là tout le sens de leur vie, à travers les larmes, c’est un sourire qui leur est adressé. Voilà, c’est fini. Le livre se referme, et bientôt la porte sera définitivement scellée. Il n’y a aucune raison à rester sur le quai, pas plus qu’à poursuivre les trains, on ne poursuit pas ses rêves, on les vit. Une larme est partie sourire ailleurs, la page est pleine, la coupe aussi, c’est désormais le temps d’un grand ménage de printemps et plutôt que de garder traces de quelconques adresses et de quelconques numéros, dans l’hypothétique espoir de quelconques nouvelles, c’est le vent qui effacera les dernières traces, c’est une vie tout entière qui s’efface, c’est un tombeau qui se referme, la vie ne s’enferme pas, elle se vit… Et puisqu’elle ne vit plus ici, partons… L’amitié n’est pas sacrée, l’amitié n’est pas inébranlable, l’amitié est temporelle et donc mortelle, comme tout un chacun. L’amitié surtout ne vit pas des actions du passé, elle vit de son vivant, elle supporte très bien l’éloignement, elle résiste difficilement à l’oubli et au détournement. L’amitié ne vit pas seule, sans quoi elle s’étiole, s’aigrit, se meurt. Aujourd’hui, c’est sur elle que tombe la dernière larme. Putain, qu’est-ce qu’elle nous aura fait chialer ! Ces murs sont sa prison, ils résonnaient encore il n’y pas si longtemps de ses rires, ils savaient se pousser pour mieux accueillir les oiseaux blessés, fatigués, à bout, le temps d’un repas, d’un café, d’une nuit réparatrice. Désormais ils semblent se refermer, ils oppressent, ils étouffent, ils cloisonnent une vie qui n’est plus. Voilà, c’est fini, il est temps de quitter le nid, de fermer la porte, de dire merci à la vie, aux vies croisées riches de partages, de remettre les compteurs à zéro et de prendre le large, juste en terminant par écrire ceci : « parti sans laisser d’adresse » parce que c’est ainsi.»          




1 commentaire:

Fabienne a dit…

J'aime ce style littéraire : les détails qui laissent mes pensées structurer les personnages, les lieux, les thèmes, l'ambiance.
La sonorité m'est propre mais puis-je un jour imaginer que quelques textes soient partagés par la voix de l'auteur ?
Un son pour capter les émotions du moment