Chienne de vie

Qui sème le vent ne récolte qu’un bon rhume, il n’est jamais bon de trainer dans les courants d’air. Brasser de l’air n’est pas mieux, mieux vaut se taire, quant à parler pour ne rien dire, là, c’est le summum, et il faut bien le reconnaitre, bien trop souvent employé. Trop, à tort et à travers, ce qui n’arrange rien, parler à tort et à travers ne mène à rien, mieux vaut se taire.


Silence. Les mots glissent en silence, ils sont les habits à peine défaits qui glissent sur la peau et tombent au sol, ils vous mettent à nu, comment pourrait-on s’habiller de silence et d’absence ? Les mots s’envolent, l’air devient pesant de ce vide, lourd de ces silences, pesant comme une absence. Vide. Au bout de la nuit, il n’y a plus rien. Un corps dénudé, un drap à peine froissé, un silence. Tout au bout de la nuit, par le coin du volet, un chien aboie, les chiens aboient toujours la nuit lorsque vous avez les volets tournés. S’il faisait clair de lune, vous verriez briller leurs crocs luisant de bave, prêt à vous mordre les mollets dès lors que vous leurs tournerez le dos. Ils ont tant et tant à baver, sur vous, sur vos silences, sur les ombres de votre vie qu’ils n’ont jamais cherché à mettre en lumière. Bavez chiens fidèles dont les seules fidélités pourraient s’appeler pouvoir, obsession, obstination, bavez mais bavez la tête haute, soyez fier de vos crocs et de vos bavant aboiements, vous ne mordez que de l’air et n’érigez que votre propre tombeau, votre gloire ne porte que les couleurs de vos fiels, de toute façon, vous n’aboierez jamais que de loin et parmi vos semblables, c’est dans la foule des siens que les chiens se dressent le cou pour paraitre supérieur, vous profitez de la nuit sans lune qui plus est sans compter les grilles épaisses qui nous séparent. Au fond, même le silence à peine troublé par vos crécelles finit par se recoucher et s’étendre sans fin. Je ne vous hais pas, chiens imbus, cela serait vous faire trop d’honneur, chiens vous êtes, chiens vous resterez, jusqu’à ce que vous vous dévoriez entre vous n’en laissant que deux, chacun apeuré de finir sous les crocs de l’autre, préférant retrousser les babines et s’étrangler de bave mais baver de loin à jamais. Le courage par le nombre n’est pas du courage, au combat le guerrier ne revêt pas plusieurs boucliers, il faut se battre pour vaincre et non vaincre pour s’ébattre. Barrez-vous, retournez dans vos cages, régalez vos ménagères de ménageries en glapissement jouissif d’être des terreurs, des terreurs de rien se terrant sans se taire, quel dommage que vous fussiez sourds.


Silence. Le vrai silence n’existe pas, il y a toujours quelque chose à écouter, une écorce qui se détend, une poutre qui craque, le feu qui crépite, la feuille glissant et tombant du vase,  un lit qui grince, une musique douce égrenant les secondes, chaque bruit est le grain de sable d’un sablier nocturne, ces nuits blanches au cœur de la nuit noire apprennent par petites touches à monter ses gammes d’insomniaque chronique, noctambule d’une autre forme, pas vraiment nyctalope mais en devenir, l’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, sans aucune forme de véto. Le vrai noir n’existe pas non plus, il y a toujours une lueur d’espoir même dans les heures les plus sombres, et à ce jeu de faux, même les nuits blanches ne sont jamais vraiment blanches, elles ne remettent pas à blanc les pages sombres d’une existence. Inexacte inexistence. Tout ceci est à la fois compliqué et à la fois simple : un silence sans silence dans une nuit sans bruit, une obscurité à peine éclairé qui luit en de pâles reflets jusqu’au cœur de la nuit, une existence dont la seule évidence réside dans l’inexistence. Et la fuite se poursuit en matin….


Silence. Les chiens dorment, ou plutôt non, ils se reposent, on ne peut baver sans arrêt, il faut savoir se poser, et puis, lorsque les neurones et les synapses s’épuisent, il faut bien faire des pallier, choisir entre baver et réfléchir, dommage pourtant qu’il s’agisse plus de réfléchir à mieux mordre et mieux baver plutôt qu’à comprendre que baver et mordre ne servent à rien. Les chiens lorsqu’ils sont entre eux en perdent les moyens de grandir, la médiocrité appelle la médiocrité, dépêchez-vous, elle vous attend. Le jour se lève, pâle et hagard, voici venu le temps de votre gamelle qu’un préposé s’en vient déposer dans vos bacs d’acier. La presse vous régale de ces faits divers jusqu’en rubrique des chiens écrasés, l’odeur âcre du sang se marie aux odeurs d’imprimerie, abreuvez-vous de ce cinglant mélange pour nourrir vos fétides diatribes, quel dommage que de ces chiens écrasés vous ne vous fassiez pas une raison suffisante pour l’écraser à jamais. Vous ne serez jamais que des chiens à l’orgueil mal placé, prenez garde à vos truffes…



Silence, le jour se lève, il était temps de dormir un peu. La lumière de vos jours me sied peu, je n’ai pas envie de quitter ce lit quand bien même il faille m’en aller promener la chienne. Elle gémit son impatience me regardant de son air cabot, comment parmi une telle espèce puisse-t’il être des individus que l’on aime et d’autres qui ne salive sans cesse qu’à l’idée de vos mollets ? Allez, dehors le molosse, il est temps d’aller battre le pavé. Les rues silencieuses et fraiches sont à nous, l’aube pâlichonne n’inspire pas à la balade, mais où ai-je donc mis mon fusil ?                


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