Partir
mais partir loin, n’être plus ici, n’être plus en vie, n’être plus rien dans ce
monde ci, dans ces lieux-là, partir d’ici, sans se retourner, sans oublier
qu’il faut oublier jusqu’à l’inoubliable, ce n’est pas facile mais rien n’est
jamais facile… Ces pensées-là trottaient dans sa tête depuis trop longtemps
déjà, sûrement nées de l’agression même si elles n’étaient pas arrivées de
suite après, il faut du temps, un temps de gestation, aucune solution pérenne ne
peut naitre dans l’urgence. Il faut du temps et il n’ y a pas de règles.
D’abord soigner, panser ses blessures, aller au plus vite, retrouver les
fonctions vitales, guérir l’humain, puis vient le temps de l’introspection, de
la recherche de compréhension, de sa propre compréhension, savoir, vouloir
savoir, une phase délicate pleine de hauts et de bas, à vrai dire, il y a plus
de bas que de hauts, mais comme l’a dit Nietzsche, « tout ce qui ne tue
pas rend plus fort », alors il a grandi, alors il a appris en cherchant
beaucoup… Des aides, il a bien dû en faire le tour, professionnels de la santé
dans toutes les dimensions du physique comme du psychique, lecture, écriture,
activités, traversées de nombreux déserts, euphories et descentes aux enfers.
L’enfer ce n’est pas que les autres, l’enfer, c’est sa propre incompréhension
de soi-même. Ne jamais se livrer tant qu’on ne s’est pas livré à soi-même, tant
qu’on ne s’est pas délivré de soi-même.
Il
fait beau dehors, il sort pour quelques pas au milieu de nulle-part, ces
nulles-parts qu’il affectionne. La solitude n’est pas une contrainte ni une
ennemie, elle est une alliée, une entremetteuse de rendez-vous avec vous-même.
Durant ces dernières années, il a crû être prêt, pouvoir vivre à nouveau, y
croire surtout, renaitre et vivre la belle histoire… On ne peut pas faire le
grand saut avec une jambe de bois, chaque belle histoire aussi belle fut-elle ne
fut que brève et chaque brève et belle histoire ne fut qu’une brèche de plus.
Il est des plaies qui ne guérissent jamais, des sortes de maladies rares qui
vous laissent orphelin de la vie, non pas que vous ne soyez pas vivant, mais
parce que votre vie ne sera jamais plus comme avant. Il est bien difficile de
juger et de jauger cela, pour lire une langue, il faut l’avoir apprise, il faut
l’avoir comprise, il faut l’avoir assimilée. Peu de personnes ne savent cela,
peu de victimes en sont jamais guéries, ces maladies sont dévastatrices tout
autant que destructrices, elles portent le voile de l’invisible et rongent
sournoisement les chairs et les chairs cérébrales. Oh bien sûr, passé
l’agression, la vie n’est plus en danger, elle est différente, elle se souvient
et se souviendra toujours, les quelques secondes qui auraient pu être fatales
restent à jamais gravées dans le disque dur, mais la haine n’en naît pas, non,
c’est l’incompréhension qui prime. Lorsqu’on va au combat, on sait que l’on va
au combat, on s’y prépare, le cerveau sait que le corps va être exposé, en
danger. Là, c’est la surprise, le coup par derrière, l’effroi de de
l’indescriptible pris en pleine face. Il ne souhaite à personne de vivre cela,
il n’en tient aucun ressentiment, juste ce vide ,ce manque d’explications qui
ne viendront jamais, si ce n’est quelques termes médicaux expliqués par un
vieux psychiatre, juste la chute, la bascule d’un monde serein vers la réalité
du monde réel, les pires des maladies ne s’affichent pas en souffrance sur les
corps des malades mais sur ceux de leurs victimes.
Marcher
lui fait du bien. Il respire, et même si les lambeaux d’hier s’en viennent
piétiner les belles images du moment, il sourit car il sait aujourd’hui où il
est et qui il est. Certes, plus rien ne sera jamais comme avant, mais qui peut
dire le contraire, même sans avoir vécu l’invivable ? Au fond, la vie,
c’est plein de chemins, de sentiers, on peut très bien y faire sa route sans en
être égratigné mais on peut tout aussi bien n’en jamais voir le bout espéré. Les
contes de fées n’existent que dans les livres et les jolis films, mais au-delà,
il y a la réalité, elle n’est ni rose, ni noire, le monde n’est pas bicolore ni
bipolaire, enfin, pas tout le monde. Il aimait bien cet endroit, vaste prairie
en falaise au-dessus des flots rageurs, espace ouvert aux quatre vents, herbes
longues et graciles ondulant sous les souffles d’Eole, buissons mal taillés et
chemins serpentant le long, il y passait de longues marches de réflexion, avec
cette douce impression d’avoir déjà vécu et de n’être plus fait pour ce monde
ci. Partir mais partir loin, n’être plus ici, n’être plus en vie, n’être plus
rien dans ce monde ci, dans ces lieux-là, partir d’ici, sans se retourner, sans
oublier qu’il faut oublier jusqu’à l’inoubliable, ce n’est pas facile mais rien
n’est jamais facile… Ces pensées-là trottaient dans sa tête depuis trop
longtemps déjà, aujourd’hui, elles prenaient tout leur sens. Il avait fermé sa
maison, la vente avait été rondement menée, désormais c’est ici qu’il désirait
respirer, seul, et seulement respirer.
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