Le Pech

Il marchait d’un pas rapide sur ce sentier bien usé de mille pas, la marche était un moyen plus qu’un autre pour se vider la tête et faire le plein d’énergie, les paysages absorbaient les pensées, la seule envie était d’embrasser toute cette nature dans son entier. Il marchait d’un pas rapide mais pas rapidement, ce n’était pas une course, juste une balade, une rencontre avec l’inconnu de ce jour, on a beau emprunté mille fois le même sentier, il y a toujours une première fois, il y a sans cesse des découvertes. Il n’était pas parti tôt, le jour chauffait déjà et les premiers pas sont toujours les plus durs, ceux où les muscles dorment encore et manifestent leurs raideurs sans trop de souplesse, mais il savait cela, il savait qu’il ne fallait pas s’arrêter, ni même ralentir, juste entendre son corps se déplier au fil des foulées, juste mesurer le rythme et le maintenir le plus constant possible. Peu à peu le corps s’échauffe, se détend et coopère, peu à peu il fait bon marcher, pour peu qu’on ait su trouver son propre rythme.


Cette première partie était déserte, l’occasion de se sentir explorateur, découvreur de cet endroit, observateur de la faune et de la flore des lieux. L’appareil photo en main, presque prêt à stocker l’image d’une belle botanique ou bien d’un splendide lézard, bien que ces lézards verts ne lézardent pas en chemin et s’esquivent vite au piètre photographe, conséquence d’une mauvaise guerre entre l’homme et l’animal sans doute, sans doute depuis des temps ancestraux. Tant pis pour la photo, il reste le plaisir des yeux et celui de la mémoire, ces dragons miniatures à la gorge turquoise sont des spécimens hautement colorés des reptiles de nos contrées. Rares rencontres qui sont toujours fort appréciées. La semaine avait été difficile, les heures des jours se succédaient en pressions de plus en plus intenses, en contraintes de plus en plus fortes, en travaux sans fin pour venir chaque jour un peu plus lessiver un moral et une santé plus blanc que blanc. La marche, c’était avant tout un moyen d’ouvrir le bocal, de  soulever la soupape, de chasser le sombre tout en faisant le plein de bleu. Le ciel était bleu pur aujourd’hui. Le vent soufflait sans se forcer, il faut dire qu’ici il est plutôt enclin à la course rapide et à la furie. Il était heureux d’être là, de profiter de ce moment de calme et d’effort à son rythme, et puis, la masse grise aux contours presque indescriptible était un vrai parcours d’aventure, habillé de légendes qui depuis toujours ont illuminé les plus illuminés des illuminés.



Un tout petit sentier discret partait sur la gauche, l’occasion de le prendre tout en sachant très bien qu’il conduirait à cette crique secrète où la cascade d’un ruisseau aux eaux parfaitement limpides viendrait égayait la belle journée de son chant cristallin. L’occasion aussi d’une pause, à peine troublée par les pas d’autres randonneurs. Il partit sur la pointe des pieds, retrouva le sentier et reprit l’ascension et par là même, son rythme. Au fil des pas, le sentier bucolique laissa place au piémont, prairie odorante et colorée où le panneau « difficile » sonnait comme le réveil sournois dans les limbes du matin. Les choses sérieuses commençaient donc ici. Une barre de céréale, quelques gorgées d’eau, les bâtons de marches enfin déployés, la ceinture du sac ajustée et resserrée pour bien asseoir le poids sur les os iliaques, il se remit en marche. Les mollets durs et tendus, les jambes lourdes de trop d’excès de mauvaises nuits, les premières enjambées se firent à petits pas, la pente devenait rude, le cœur rapide et l’envie de tâter la roche bien forte. Voilà qui tombe à pic, le passage se rétrécit et les mains doivent chercher leurs prises pour hisser le corps toujours plus haut. Pas même un replat, juste un bout de roche contre lequel caler la jambe le temps d’enfiler le coupe-vent, ça souffle fort à l’approche du sommet. A peine le temps de caresser le thym fleuri pour en cueillir les huiles essentielles, à peine le temps de prendre en photo quelques orchis et la course se poursuit, et la fréquentation s’intensifie, il y a du monde, dans les deux sens : ceux qui prennent le sens classique, montée rude puis descente plus douce, ceux qui fonctionnent à l’envers, ceux qui pratiquent l’aller-retour parce que garé juste en bas de cette voie-là. Parmi toutes ces rencontres, il y a le silence, le quasi évitement, il y a la gentillesse des mots échangés, du geste, celui de s’écarter du chemin pour laisser passer l’autre, puis il y a le trésor, la cerise sur le gâteau, du moins pour l’amateur de cerise : la conversation. Quelques minutes à converser, à expliquer, à raconter le pays, à entendre, à apprendre l’accent d’une autre région, les interrogations, la tranquillité du randonneur, celui qui aime, car sans amour point d’échanges, point de partages, point d’envie de discuter. Cette pause pipelette en cours de la montée, elle est belle, elle est noble, elle est rafraichissante, car elle remet juste ce qu’il faut d’humanité au cœur de cette nature aride et rugueuse. Elle redonne foi dans l’humain, celui qui aime, celui qui sourit, celui qui aime s’arrêter mais surtout, elle apprend une chose fort juste : on ne perd jamais de temps, on l’emploie différemment et surtout,  la vie n’est pas une course ni un combat, la vie est un passage dont les murs portent la couleur de vos sourires et vos envies, ils ne sont jamais tout noir ou tout blanc, ils sont juste comme vous les affichez….                  


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