Le chalet

C’était un de ces matins magiques comme seule la nature sait en offrir, un de ces matins où l’on ne regrette pas d’avoir quitté la chaleur de son lit pour affronter le froid et fournir l’effort de gravir les pentes enneigées. L’épais manteau recouvre chaque détail du relief, il en adoucit les contours, il en masque aussi les pièges, il faut une habitude et une connaissance des terrains pour ne pas se laisser choir dans le ruisseau dissimulé ou bien encore s’enfoncer mollement à travers les ramures des rhododendrons. Le soleil se levait dans un ciel bleu pur, la brise légère soulevait cette poudre de neige fraichement tombée, dessinant comme un brouillard sur la surface du manteau blanc. La lisière de la sapinière masquait encore le premier sommet mais déjà l’odeur douce d’un feu de cheminée trahissait la proximité du chalet. Encore quelque pas et la clairière prendra place à travers les arbres, la modeste demeure sera alors visible avec son lourd manteau de neige en guise d’isolation, elle était la gardienne de ce coin de montagne, vestige sans doute d’un habitat pastoral autrefois plus étoffé, elle était son refuge, loin du monde. Le bas était en pierre, des murs épais percé de quelques meurtrières, un large porte de bois d’un autre temps, une petite fenêtre blottie contre. Autrefois étable, c’était aujourd’hui à la fois le sas d’entrée, la réserve, l’endroit de passage et de dépouillement, ici, on quitte un monde pour l’autre, celui de dehors pour celui de dedans. Des habits en attente de leurs saisons de prédilections, des buches finissant de sécher avant d’être condamnées au bûcher, un vieux garde-manger où terminaient de s’affiner des fromages du cru. Il y a toujours une certaine poésie dans ces endroits de rien, ces lieux que l’on traverse sans même les visiter, sans même les voir.

Tout au fond, un escalier, tenant plus de l’échelle de meunier, aux marches usées par les pas et les ans, aux bois toujours grinçant et vivant, elle réunifiait les deux parties, le monde du bas, sombre, frais et délaissé, le monde du haut, chaleureux et bien éclairé. De partout semblait entrer la lumière, les fenêtres nombreuses laisser entrer le soleil et offrait des vues de cartes postales : sapins lourdement enneigés, le col et le pic tout en roche, la trouée de la sapinière donnant sur la prairie par laquelle il était arrivé, comment ne pas se sentir bien ici ? Les murs et les planchers aux vieilles planches, la poutraison magnifique, tout avait été patiemment nettoyé, décapé, rejointoyé, réajusté pour conserver aux lieux la magnificence des âges, transformant l’humble bergerie en une confortable demeure. Une cheminée aux parois escamotables offrait tour à tour chauffage et sécurité ou bien chaleur et convivialité du feu ouvert. Les modestes dimensions avaient tout de même permis d’aménager deux chambres dont une en mezzanine, un vaste salon et son coin repas, une cuisine et toutes les commodités nécessaires. La façade avait vu sa porte à foin se transformer en baie vitrée donnant non plus sur une échelle hasardeuse mais sur un balcon suffisant pour s’y détendre ou bien prendre son déjeuner face à la nature. Des années et des années de travaux, de bricolage et de week-ends passés à camper pour transformer ce lieu. Un défi plutôt fou pour beaucoup, un accomplissement pour lui, cette grange familiale devenue habitat avait pris toute sa valeur lorsqu’enfin le temps de la retraite lui offrait le plaisir des week-ends qui n’en finissent plus. Petit à petit, l’extérieur s’en trouva modelé, des murettes reprirent de la hauteur, soutenant la terre, délimitant le potager, tout juste là où ses grands-parents le cultivaient. Le ruisseau avait retrouvé son chant, quelques nettoyages plus haut lui avait redonné son cours, il pouvait désormais abreuver le jardin, remplir la citerne et abreuver d’intrépides animaux ne redoutant d’approcher cet ermitage d’héritage. Quelques pierres plus loin, c’était un appentis servant aux beaux jours à la fois d’atelier mais aussi de lieu de repas, une table en bois profitant de la fraicheur des noisetiers tout proche prenait beaucoup d’attrait dans les chaleurs de l’été. Pour l’heure, tout ceci dormait sous la neige, le vent en bourrasque avait semé ses flocons jusqu’au fin fond des pièces offertes à ses courants d’air. Le seul accès était en raquettes, un sac à dos pour les provisions, les réserves de conserves et de bois pour compléter, la rudesse des hivers apportait une douceur sur la façon de les appréhender, il suffisait de vivre la force de la nature au plus près pour mieux réaliser sa place dans tout cela. A croire qu’on comprend mieux le monde lorsqu’on en sort, de toute façon, on voit toujours mal de trop près. Lecture, musique, bricolages, il y avait mille chose à faire mais surtout, il y avait toujours une communion avec la nature, si naturelle que les heures ne s’exprimaient plus que par elle, il avait fini par oublier sa montre et à vivre selon le jour, à vivre, au jour le jour. Peut-on rêver mieux ?


Cet endroit paisible n’est qu’un bout de mémoire, mémoire des hommes, mémoire des lieux, une continuité humaine dans l’espace-temps, une vie à l’abri d’autres vies, une vision différente d’un même instant vécu et ressenti différemment là-bas en bas. Ni loin, ni prés, il suffit d’être prêt. Prêt à remettre en cause sa vie, son existence, prêt à vivre sa vie selon ses envies, prêt à voir le monde d’un peu plus haut, d’un peu plus loin, prêt à se donner du temps, c’est ma foi le plus beau des cadeaux.   

                 

1 commentaire:

Fabienne a dit…

Un endroit fort "cocconing",décrit avec tellement de chaleur pour une parenthèse de vie.Je m'y vois !