Grains de sels

La reprise, enfin, la pause dans un calendrier installé depuis plus d’un an, avec ses lots de travaux et d’occupations, ses cogitations quasi perpétuelles engendrant leurs lots de fatigues venant s’ajouter aux fatigues physiques, ses fatigues morales aussi, la faute à pas de chance, la faute à la vie qui prend, donne et reprend ce que vous avez de plus cher. Le plus cher ne s’achète qu’avec le cœur. Dire que l’an passé est passé sans s’en apercevoir pourrait être mal interprété, c’est la durée qui n’a pas duré, pour le reste, deux mille treize a planté ses banderilles et ses épées tout au long de notre dos. Une année difficile ne veut rien dire, c’est une année de transformation, comme nous traversons toujours et souvent des phases de transformation, même si là, la marche fut un peu haute. Pour mieux affronter cela, il n’y a que les passions, ces sels de la vie dont on choisit ou non d’accommoder son existence. Certains seront au régime sans sel toute leur vie, d’autres doseront avec parcimonie leurs plats du jour de chaque jour, d’autres enfin goûteront avec soins les plaisirs de l’existence dans la saveur de sels aux parfums différents.

Il a  choisi le salé sans recette, sans se limiter à un seul sel. Son sel à lui se cueille les jours de pluies comme de grand soleil, en hiver comme en été, parfois à l’arrêt, très souvent en mouvement. Des grains de sel puisés dans un grand bocal de verre dont l’étiquette patinée à l’écriture manuscrite dirait « éclectique »… Des sels de toutes les couleurs, des sels de tous les attraits, des plaisirs de sports dans leurs essences les plus éthériques, le sport pour ses trésors de bienfaits et sans ses revers de médailles pas plus que ses endroits d’ailleurs. Bouger pour respirer, marcher pour découvrir, apprendre à s’apprendre, cueillir la merveille de chaque instant, être vivant. D’autres grains de sel de découverte, des images, des sons, des écritures, des notes, des histoires, des pages d’Histoire, des techniques, des explications sur le pourquoi du comment, des reportages de bricolage, des images d’ailleurs, des catalogues de produits se transformant en envies, des grains de sel à l’envie…

Tout ceci pourrait donner une côté trop salé à la vie, mais si l’inventaire sans le pré vert pourrait paraitre monstrueux, c’est qu’il y manque la notion tellement humaine de parcimonie et de raison. Souvent, ce qui fait peur c’est la multitude comme une évocation de superficialité parce que trop de monde se contente d’un seul approvisionnement, cherchant à le pousser à bout, tel le collectionneur de timbres cherchant le Graal d’un timbre au nombre d’exemplaires survivant très réduit, mais c’est là une vision de l’esprit, on peut tout aussi bien aller très loin dans plusieurs domaines, on peut courir et aimer la musique, on peut aimer la musique et ne pas écouter qu’un seul interprète, on peut écouter plusieurs interprètes et connaitre leurs histoires, leurs œuvres, leurs textes parce que simplement le cerveau a des capacités à stocker et à retrouver mille choses très différentes. Il avait toujours jonglé entre disciplines et connaissances distribuées ça et là, une forme d’indiscipline où l’information n’est pas rangée dans un grand classeur bien droit aux références alignées et insipides, non, au contraire, chaque donnée est associée à une image, chaque image est un code, chaque code une clé d’entrée, les murs de ses  neurones ressemblent aux murs du temple d’Abou-Simbel et leurs pages d’hiéroglyphes incompréhensibles pour le commun des mortels. Tout est question de code, connaitre le code, c’est décrypter la loi, celle de l’être bâtisseur de son propre code.

C’est ce code-là qui fait catégoriser une personne en être désordonné, juste parce qu’on ne se retrouve pas dans son code, parce qu’on ne lit pas son code, bref, parce qu’il n’est pas dans le code commun et consensuel, cet être-là est désordonné. Pourtant, mettez au défi chaque être désordonné, demandez-lui de retrouver tel ou tel document dans ce qui vous parait un fatras de pages et d’objets hétéroclites, et vous serez surpris de le voir en quelques instants vous sortir la page dite… A l’inverse, obligez-le à ranger, c'est-à-dire à classer selon votre code, le voilà qui sera obligé de recoder le tout dans son code à lui pour enfin retrouver le document. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, cela démontre la supériorité de l’individu sur son monde, il sait où il vit et où il va, même si de l’extérieur cela est difficilement perçu. La perception n’est pas la réalité, le désordre n’est qu’un ordre personnalisé. Puisse un jour le monde comprendre l’importance pour l’être de pouvoir codifier son monde et ses valeurs dans son périmètre, cela favorise la créativité, celle dont nous avons tous besoin parce qu’elle se situe hors du cadre, plus loin que le champ des possibles et comme chacun le sait, impossible n’est pas possible. Voilà qui met un peu plus de sel à la vie….       


Attention toutefois, ces sels-là ont un effet pervers, ils vous donnent soif, une soif d’apprendre, une soif de comprendre, une envie de réaliser, de se réaliser, en salant vos plats, vos vies, vos existences, vous prenez le risque de prendre goût à la vie…. Vous ne pourrez pas dire que vous n’étiez pas prévenus !    


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