bouchons


Quelques jours de beau temps, de soleil et de presque chaleur suffisent à oublier combien hier encore le ciel pleurait. Cette douceur printanière, ce soleil revenu d’on ne sait où, c’est le baume au cœur qui manquait à chacun d’entre nous. Doit-on choisir entre les saisons ? Chacune a ses avantages, chacun y trouvera des inconvénients, rien n’est parfait et c’est tant mieux ! La perfection, le lisse, l’idéal ne sont que des supports à rêves, des axes à prendre comme perspectives mais nullement une réalité à vivre, sous peine de s’y ennuyer. Ainsi songeait-il, assis derrière son volant, immobile, englué comme tous les soirs et les matins d’homme civilisé se rendant à son travail ou bien encore quittant son travail. Usure spécifique qui s’en va bien au-delà de l’embrayage, et par je ne sais quel enchainement mécanique, transforme l’homme en esclave enchainé à ses compatriotes. Si le véhicule est immobile, l’esprit voyage, s’échappe, gambade bien loin, il part visiter les sommets, les vallées perdues, les champs de fleurs et d’herbes odorantes, les plages sauvages et désertes, il fuit cette foule arrêtée et oppressante pour des belles échappées. Qui n’a jamais rêvé de tout plaquer, de fuir ce lourd quotidien ? Nos grandes cités ne sont pas des havres de paix mais de grands phares aveuglant près dès quels poussent les fleurs d’un travail et où s’en viennent voleter les papillons laborieux que nous sommes, étourdis par la lumière, nous nous écrasons soirs et matins les uns contre les autres dans une danse statique sentant bon l’oxyde de carbone. Dans quel étrange bonheur l’homme du vingt et unième siècle s’est-il fourré ? L’instinct de groupe sans doute, qui le conduit sans jeu de mot au travail, le ramène chez lui, l’embarque dans les courses alimentaires, ou bien encore, dans les retours de week-ends ou bien encore les retours de plages…. Que serions-nous donc sans les autres ?

Il roule machinalement, boite de vitesse bloquée sur la première, tandis que la tête explose d’oxygène en gravissant ces pentes clairsemées de névés, à surprendre les crocus dans leurs premières percées, à imaginer la course d’un isard, les cris d’une marmotte, les cercles des vautours. L’esprit s’en va, il quitte le corps et bientôt le corps rejoint l’esprit, il se détend, de prend à rêver, à vivre ses nouvelles aventures, à marcher, à courir, à respirer, à écouter…. Mais c’est un klaxon ! « Oui, c’est bon, t’énerve pas, j’avance, tu l’aurais ton bout de bitume cinq mètres plus loin qu’il y a peine une demi heure… » Retour aux bouchons, l’agressivité d’un klaxon a fait fuir les papillons, les vrais, ceux qui volent de fleurs en fleurs, ceux qui saluent l’éveil de chacune des belles plantes de ces riches flores si tranquilles, loin, très loin… La pause fut-elle courte, elle aura semblé plus longue, et même si c’est groggy qu’il se réveille derrière le volant, se surprenant à vouloir s’étirer, les bienfaits sont tout de même présents, voilà qui évite de tomber dans le piège de l’agressivité. Voilà qui invite à aller voir ailleurs, du moins, en vrai, du moins bientôt, parce que les belles images ne doivent pas rester un rêve, parce que l’appel du large est bien réel et bien captivant, motivant même. Le printemps qui roule déjà sa bosse donne bigrement l’envie d’aller se dégourdir les jambes et les sens au cœur même de la nature, loin du surplace, loin des klaxons, loin des signes pas vraiment amicaux. Loin, mais pas si loin, parce que partout est la nature, d’ici, à quelques tours de roues, c’est un lac, une promenade, une partie boisée,  des pelouses, des fleurs, la liberté de marcher à son rythme sans y gêner l’autre, cet autre, inconnu qui colle au cul et klaxonne, sûrement persuadé qu’ainsi les autres rouleront plus vite et qu’il sera ainsi vite chez lui. Il n’ose imaginer de tomber en panne… En panne de klaxon !

Rouler pour rouler, non, pas vraiment, terrible désespérance des multitudes d’errances coincées en un même ruban, juste parce que c’est l’heure, juste parce que c’est ainsi. Plus loin d’autres villes, d’autres régions, sans travail, sans bouchons, c’est la loi de la décentralisation et de la réflexion. Pourquoi continue-t-on à concentrer tous les boulots au même endroit ? Pourquoi, à l’heure des fibres, des hauts-débits et tant d’autres moyens de communications sommes-nous contraint de se chatouiller les pare-chocs soirs et matins ? Il est bon, visiblement,  de ne pas bouchonner tous ses euros dans une même banque, un même pays, mais des hommes, pourquoi les contenir en si peu d’endroits ? Serait-ce l’air pur des montagnes qui l’a saoulé et lui affiche ce sourire bien plus marqué que ces compagnons d’infortune ? Allez donc savoir….

    

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