Verbe

Il n’y a rien d’étrange sur cette terre à avoir le verbe haut. Ce pays est venté, non pas temps par les moulins qui ponctuent les collines, non, je crois même que les moulins furent implantés après, histoire de s’en aller dérider leurs ailes et leurs toiles aux vents légers du lauragais, histoire aussi de braver les colère d’autan, ce joli vent d’ici qui emportent à la fois les poussières des terres nourricières jusque dans le cœur des maisons et qui emportent aussi la raison de ceux qui surement ne sont pas nés ici. Et oui, le verbe est haut, sonore et rocailleux, chantant et souple, coléreux sans colère, râleur sans raison, il y use un vocabulaire souvent poétique que d’autres prendraient pour des insultes. Par ces grands temps de grands brassages culturels et géographiques, il arrive souvent qu’on mesure la portée de cette zone d’incompréhension, avec parfois une volonté de l’envahisseur de s’en venir contrôle notre diatribe verbale. Non mais ! Occitans nous sommes, oui bon, encore quelques-uns à avoir échappé au bucher, et non vous n’aurez pas tous les cathares et autres « pas comme vous » et si le pouvoir est d’en haut, nous sommes aussi en haut de nos ocres collines, dans ces terres qui abreuvent les plus grands paysages quand bien même les eaux en soient parfois cruellement absentes.

Terroir, nom pas seulement employé pour du vin, noble invention de l’homme, victoire sur le raisin, non, le terroir est partout et chacun défend le sien, ici comme ailleurs, le verbe sert à conjuguer les états d’âmes comme les états de l’homme, les discours se ponctuent de joyeuses virgules, les mots s’échappent parfois dans de vieux dialectes que d’aucun reprennent sans vraiment comprendre la haute précision pifométrique d’un « à bisto de nas » chez les gens du cru, et là, j’avoue que ce n’est pas tout cuit. Un pays qui s’en vient titiller la capitale Toulousaine pour ensuite s’en aller visiter le Tarn et l’Aude, frontières si indécises puisque non tracées par le sillon d’un soc du cru. Il n’y a pas de frontières, mais un pays, des villes comme des villages de marché, des briques rouges qui flamboient sous le soleil couchant, un vent qui chasse loin d’ici les nuages et les pollutions, des familles éclatées sur quelques hectares qui se retrouvent pourtant à l’occasion des travaux comme des veillées, des épreuves de la vie, fussent-elles joyeuses ou tristes bien qu’encore la tristesse s’évanouit dans le partage d’un repas qui pourrait paraitre festif à qui n’est pas d’ici, longues tables dressées sous le hangar, « monjetade » servie, du temps d’avant l’appellation luxueuse de « cassoulet »…

Et oui, je l’aime ce pays, ces racines, cette terre, un endroit à parcourir à pied ou en 2CV, un pays à découvrir jusque dans ces moindres petites routes, un pays à part, mais est-il un pays qui ne soit pas à part ? Certes, Brassens l’a chanté, il est partout des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part », ici comme ailleurs, mais il n’est aucun chauvinisme, j’ai longtemps rejeté ces racines et cette terre, parce qu’écœuré d’en avoir trop bu en d’interminables parcours de toussaint, par des séries de bises à moustaches et de dialectes non compris, mon tort étant d’avoir été à l’école française. Et puis, les pages se tournent, celles des grands-parents, tout deux natifs d’ici, le mythique d’alors n’était pas virtuel mais lien de gens d’un même clocher, le cimetière se referma sur deux êtres de chair très chers à mon cœur, les leçons non écoutées revinrent soudainement à la mémoire, les noms des fermes, joyeux inventaire à la Prévert, soudain sortaient de mes neurones pour trouver place sur la carte du terroir familial. Alors, oui, j’en suis revenu et oui, j’y suis revenu et je découvre et je parcours et j’apprends sans avoir mes mieux maitres pour y ajouter ces anecdotes qui s’en viennent si joliment égayer le tableau, coup de pinceau soulignant le détail, trait de génie de mes humbles géniteurs et des géniteurs de mes géniteurs. Merci à vous, d’avoir la patience devant l’étourdi que je fus, souvent résonne en moi les mots qui enseigne, l’art de la coupe, la description d’une terre, la leçon de vos vies.

Alors oui, on parle haut et fort, alors oui, on est fiers et heureux d’être d’ici, alors oui, on cueille chaque jour aux sources d’un passé composé les promesses de lendemain plus serein. Et même si le temps à changer, surtout parce que nous n’avons plus le temps de le prendre ni celui de le mesurer pas plus que celui de la mesure qui nous ferait comprendre que le temps n’est qu’un allié, même si les villages sont moins familiaux et plus hétéroclites, cette terre ne bouge pas ses courbes, les moulins sont tombés, quelques uns se relèvent, le vent lui ne faiblit pas et surtout ne disparait pas. Alors oui, le verbe est fort, mais le verbe est la vie, tout comme la bible nomma ainsi le fils de l’homme c’est bien signe aussi de l’importance du verbe et du besoin de le porter haut.

Alors oui, ici le verbe est haut et tant que soufflera l’autan, autant sera la verbe. Il est bien des horizons par le monde, celui des ces croupes dorées, alanguies en courbes sensuelles restera un écrin pour le cœur et les pensées voyageront souvent par ici. Par ici et par là, car les pensées ne sont jamais immobiles, les balades sans cesse parcourent les paysages, et comme le vent je voyage…

Aucun commentaire: