Jeûne est-ce?

Dernière période grasse, voici que pointe à l’horizon la période de carême celle qui succède au gras, dernier jour mardi, mardi gras et donc festif comme pour mieux entrer en disette en faisant des réserves au préalable. Au-delà du religieux, cette période vieille comme le monde, au moins celui de la chrétienté, n’est que sujet à la mode dans tous les magasines du printemps à venir : faisons régime, nettoyons notre corps, débarrassons nous du surplus pour arriver le cœur léger à l’été. Mais avant la religion, il y avait déjà l’homme, le païen, celui qui vivait dans ses propres limites, ses propres contraintes, sans avoir au-dessus ce conseil de bien-pensant pour dire « ceci est bien » ou « ceci est mal » pour promettre et pour punir, étrange équilibre où la punition est ici et la récompense au-delà. Dans ce temps là, avant le carême religieux, l’homme connaissait déjà le festif et la diète au gré des chasses, au grés des saisons dictant les cueillettes, au gré de l’union comme de la solitude, et notre espèce évolua et prospéra avec et par ses propres règles. Des années d’éducation religieuse, des siècles d’endoctrinement nous ont ainsi forgé, génération après génération, la tradition orale de parents à parents, les livres après les livres, l’école après l’école, chaque couche, chaque étape est une pierre ajoutée au mur de nos carcans, ceux sans qui nous ne serions pas nous tout en n’étant pas nous-mêmes. Comprendre, apprendre, mesurer, prendre conscience et s’éveiller, se réveiller de cette torpeur, bien sûr la religion n’assure plus son matraquage faute d’écoute béate et de présence massive, mais il faudra encore du temps pour que l’homme redevienne homme, pour que la femme redevienne femme. Bien sûr, on cherche pourquoi la chandeleur apporte les crêpes, tout en s’appelant « présentation » dans le calendrier, bien sûr on songe aux bugnes, aux merveilles, aux oreillettes de mardi gras et pourquoi les cendres s’en suivent avant d’aller en carême, tout comme on pourrait s’interroger pourquoi le carême et pourquoi le ramadan, tout comme on doit s’interroger sur tout, non pas pour remettre en cause systématiquement tout mais parce que des questions naissent les réponses, parce qu’aussi de la critique nait l’intérêt et la connaissance.

Je n’ai pas de réponse, du moins pas à fournir ici, pas plus que tomber dans la technicité de préceptes religieux qui de toute façon ne seraient que sources de débats et d’opposition, quelques questions parmi d’autres juste réveillées par la proximité de date et la réflexion autour du carnaval, pourquoi et comment, au-delà des cultures, bien avant les traditions, d’où viennent ces déguisements et ces besoins de se déguiser, cette fête et cette communion, ce procès d’intention qui finit en bûcher pour le roi carnaval. Des mots naissent les mots, pour peu qu’on sache jongler avec, non pour les mélanger mais pour mieux les ordonner, le sens des mots dépend du sens dans lequel la phrase se construit, exercice délicat et périlleux, mais un bonheur avant tout, un plaisir surtout. Alors oui, de la chandeleur j’ai l’odeur des crêpes, les images d’enfance aux saveurs sucrées des confitures maison, la pate universelle à tartiner les noisettes n’étant pas forcement présente dans nos placards de famille modeste, ce qui me fait mesurer aussi, combien l’enfance est aveugle car elle ne voit pas l’assiette plutôt maigre des parents à peine cachée par l’assiette bien garnie des enfants, et oui, j’ai la joie des souvenirs d’apprenti pâtissier autoriser à découper le ruban de pate à l’aide d’une roulette crantée de plastique rouge afin de produire des formes rigolotes, qui deviendront de gouteuses oreillettes finement saupoudrées de sucre, mes préférés étaient ces cercles emportées dans la pate plus épaisse à l’aide d’un tout bête verre à moutarde, sûrement fort surpris de se voir le cul par-dessus tête à mordre la pate pour en ôter une future merveille que d’aucuns nomment bugnes par là, au-delà de la ville frontière entre nord et sud, j’ai bien entendu quasi désigné Montauban. Et bien sûr j’ai souvenir de ces masques de plastique à l’odeur de…plastique, personnage de bandes dessinées, ou héros aujourd’hui désuet, tout comme j’ai souvenir de cet élastique à passer derrière la tête, qui un jour de faiblesse, tirant un peu trop sur la corde, arrachait l’agrafe du plastique quand il ne rompait pas, tout comme je me souviens de l’agrafeuse familiale et ses recharges cuivrées dans une boite violette aux initiales BB, bien avant Brigitte, d’ailleurs BB, n’est ce pas pour Bien avant Brigitte ? tout comme je me rappelle le tiroir secret du meuble de couture où dormait le précieux élastique pour raccommoder tout seul le précieux compagnon de jeux parfois solitaire mais peuplés de bien d’êtres imaginaires.

Il n’y a pas que Proust qui aime les madeleines, et même si mes madeleines à moi sont crêpes, merveilles ou oreillettes, elles gardent profondément ancrées le souvenir d’une modeste demeure, de ma mère bien sûr et de tant sucré qu’il serait difficile de jeûner et d’y résister. Jeûner ? Oui, c’est nécessaire mais plutôt qu’un carême je préfère une distribution quasi à la source, mieux vaut donc pour moi, jeûner entre les repas.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Magnifique!!! tu m'as transportée des décennies en arrières où tous ces simples plaisirs nous rendaient très heureux.Imprégnés des odeurs et des saveurs de notre enfance, je crois que nous avons été plus chanceux que cette nouvelle génération bourrée de mets industrialisés!!
Bravo Didier pour ce texte que beaucoup de gens de notre génération apprécieront très certainement. Bises