Carnaval

Il y a dans l’air ce petit plus qui donne le peps, ce petit plus qui au sortir des jours trop courts de l’hiver, au sortir des jours trop froids de l’hiver vient titiller les êtres, redonner un peu de vigueur et rendre festif ces jours pas encore de printemps. C’est peut-être pour cela que carnaval est là, blotti entre quelques dates du calendrier, plus tout à fait ne hiver, pas encore au printemps, mais déjà des fourmis dans les membres et l’envie de s’en aller fêter ces jours qui commencent à durer, ces nuits qui commencent à pâlir. Et comme le soleil traine un peu ses rayons encore trop horizontaux pour réchauffer les vents froids, alors partons faire la fête, explosion de couleurs, de bruits, de rires et de musiques pour vaincre le pâle hiver qui hier encore nous mordait, pour se défouler, se dérouiller le corps et s’étire tout au long des rues des cités comme un chat au sortir de sa trop longue sieste. C’est bien cela, après des semaines de torpeurs à peine ponctuées par les fêtes de nativités et de début d’an, place au réveil des marmottes, à la montée de la sève, venant parcourir ces rameaux de vies endormis pour y gonfler les bourgeons et faire exploser les fleurs d’un printemps tout proche.

Carnaval. Joie parmi les joies de l’enfance, souvenirs à la fois sucrés et festifs, déguisements sortis des vieilles malles du grenier après avoir salivé devant les panoplies toutes prêtes dans les magasins de jouets, ces grands magasins du centre ville, seules boutiques d’alors où l’on trouvait ces graines de rêves qui s’en vont germer dans le cerveau des enfants pendant de longues et longues nuits de ces vies où le temps ne sait pas ralentir. La plus belle des richesses reste l’imagination, cette source qui abreuve la créativité, qu’elle soit réelle, ou bien songeuse, elle reste une maitresse tout au long de notre vie, pour peu qu’on s’en serve dans la créativité, source des arts, toujours. Un vieux chapeau défraichi, un pantalon trop grand, une chemise immense et nous voilà Robinson Crusöe, ou bien épouvantail ou bien encore clochard, paré au défilé, sinon ce baril de lessive, du temps où ils étaient en carton, les barils métalliques eux servant de corbeilles à papier, ce baril de lessive donc, à coup de ciseaux, de colle et de papier d’aluminium devenait casque de cosmonaute, robot du temps de la quatrième dimension des frères Bogdanov en noir et blanc sur la télé familiale, masque à pas cher respectant le modeste budget mais grande joie et plaisir qui me donne encore des frissons de bonheur à l’écriture de ces souvenirs-ci. Sucré, par les merveilles, les oreillettes et autres beignets, je me souvient aussi de ces formes en aluminium, étoile, rond crénelé, carré, fixés au bout d’une tige métallique et qu’on trempait dans la pâte légère et parfumée au jus de citron, d’orange et surtout aux râpures de zestes d’agrumes, avant de leurs apprendre à nager dans l’huile bouillante d’une marmite au fond bien culotté par des années d’expérience aux fourneaux. Un temps que la chimie n’avait pas encore envahie, parfums naturels et fruits non traités, pâtisseries maison et non industrielles, œufs des poules de notre poulailler dont le jaune était bien plus orange que le pale beige d’aujourd’hui. Tout était odeur, couleur, parfums, saveurs, plaisirs. Sans oublier non plus les apprentis maquilleurs que nous étions : bouchons de lièges brulés à la flamme pour se noircir le visage, rouge à lèvre chipé dans la salle de bain, tentative d’aquarelle ou de gouache sur peau, il est vrai qu’en ces époques, notre cuir était du genre costaud.

C’est cela le carnaval, du sucré, de la douceur, des odeurs, des saveurs, du festif, de la couleur, des rires, des bonheurs, et jusque dans la destruction par les flammes du roi carnaval, et même si après nous ne comprenions pas toujours cette période de carême où les bonbons étaient bannis, quand bien même nos parents ne nous faisaient pas faire pitance, mais les grands-parents nous racontaient toujours leur époque plus respectueuse de ces diktats, encore qu’en prenant conscience aujourd’hui, c’était bien toute leur vie qui fut carême, une alimentation plus pauvre que celle de nos jours de diète actuels. Alors, oui, fêtons ce printemps pas encore là, colorons nos vies, libérons nos esprits d’une morosité entretenue, et même si nous ne nous déguisons plus, profitons des défilés, il y en a partout et sur plusieurs dates, des grands et des petits, ceux des écoles ayant ma préférence, non pas les écoles de samba de Rio de Janeiro, non, plutôt voir ces bouts de choux défiler hésitant, parés de somptueuses couleurs dans des tenues que des mamans couturières ont patiemment assemblé, parfois même des armures de cartons joliment peintes, avouez que c’est tout de même plutôt attendrissant. Et puis, les bonbons, les confettis, sont là pour rappeler que c’est la fête, les derniers jours de pitance grasse, mardi gras avant de descendre en mercredi des cendres, et même si les défilés sont parfois anti datés, ne boudant pas notre plaisir, courront vite s’abreuver à ces sources de joies, joies simples, les plus belles, toujours.

Aucun commentaire: