Sujet

Epoque épique que cette période-ci, la trêve des confiseurs est passée, le confit lui est en pleine cuisson, bien sûr, région oblige, c’est de canard qu’il s’agit, oh, non pas ces canards de plastique qui trônent dans les salles de bains, parfois en y prenant froid au point d’en trembler et de devenir vibrant, non, des ces braves canards musqués, à l’œil brillant et à la plume d’un noir éclatant, mais là n’est pas le sujet…

Nous voilà donc quelque part entre janvier et décembre, plus près du début que de la fin, ce qui avouez-le est plutôt de bonne augure, car même si la fin justifie les moyens, mieux vaut vivre léger qu’accumuler des moyens inutiles, mais bon, là n’est pas le sujet.

Et bien nous y sommes dans cette période, juste après la chandeleur et bien avant mardi-gras, l’heure est à la pitance et point à la pitié, de toute façon, vu le temps, il fait bon être derrière les fourneaux, ce qui avouons-le est assez mal placé pour la cuisine, mieux vaut être devant, mais là n’est pas le sujet.

Né et élevé dans une famille où la cuisine était la pièce maitresse de la maison, tant par la disposition géographique que par culture gastronomique, et oui, dans cette époque-là, les maisons n’avaient pas encore inventé de salle à manger-séjour-living-room aux proportions dignes d’une salle de bal, non, l’habitat comportait une pièce à vivre, puis une ou plusieurs pièces à dormir. La pièce à vivre comportait le foyer, cette grande cheminée ou n’en finissait plus de fumer un morceau de bois, rêvant en de maigres volutes à une belle flambée tout en parfumant la pièce de cette belle odeur qui chatouille encore ma mémoire olfactive. La porte, lourde et robuste, surement par crainte de rayer le sol en terre cuite qui pourtant en avait vu d’autres, tâchait de s’en tenir écartée de quelques bon centimètres, servant par-là même avec la complice cheminée de ce que nous appelons aujourd’hui VMC, ventilation mécanique contrôlée, bon, côté contrôle c’est surtout Eole qui opérait, mais là n’est pas le sujet.

Les fenêtres étroites et hautes, décorées de rideaux dont on aurait pu dire qu’ils furent blanc un jour, surement par jalousie y allait aussi de leur abus de défaut de jointure, tant et si bien que s’asseoir à la longue table de bois sombre relevait en premier d’une stratégie des courants d’airs dignes des plus hautes études d’un ingénieur de la mécanique des fluides pour calculer la place la plus éloignée de ces parcours invisibles. Croyez-moi si vous voulez, mais cette place-là existe, elle est celle du maitre de maison. Plus loin, la pierre grise d’un évier, des monceaux de vaisselle tels des voyageurs dans la salle des pas perdus, qui arrive ? Qui part ? Nul ne sait, les choses sont ainsi, les torchons raides et rêches ne sont pas là pour trahir, pas plus que le néon perché au dessus du miroir, ni même ce joyeux serpentin de papier attrape-mouche et non tue-mouche comme on entend trop souvent, les mouches s’y font prendre, elles s’en suicident lentement en des grésillements atroces que balaie le lourd balancier d’e le grosse pendule, déclamant les secondes, les minutes et les heures, à coup de tic et de tac, à coup de gong sonore pour qui vient là pour la première fois, à coups de gong inaudibles pour l’habitué des lieux, mais c’est un autre sujet.

Cet habitat, plus tard par commodité sans doute fût agrandi de ce que nous nommerons des commodités. Pourquoi ? Comment ? Toujours est-il qu’aller visiter l’étable en cas de besoin ou bien se tailler la moustache devant le vieux miroir ébréché, le nez au-dessus des casseroles ne devaient plus pouvoir se faire, cela fut sous-traité en ces lieux nouvellement créés, création datant d’avant l’invention du chauffage, de toute façon, personne ne savait encore ce qu’était le chauffage. Certes, les chambres étaient plutôt bien exposées et climatisées, du temps où climatisé ne voulait pas dire « aller à l’encontre des saisons » mais bel et bien froid l’hiver et chaud l’été, les draps épais et durs étaient bien vite dégeler grâce aux moines qui s’y couchaient un peu avant les occupants. Aucun sourcillement à avoir, ces moines-là ne portaient pas la bure, oui la bure, toujours la bure, non, ces moines-ci étaient certes ventrus et bâtis comme des barriques, de bois courbes coiffés de deux planches entre lesquelles on glissait une casserole emplie de braises chaudes cueillies au foyer. La chaleur et l’odeur de la fumée venaient adoucir le coucher et conserver les viandes tout comme toutes bonnes fumaisons, mais là encore n’est pas le sujet.

D’ailleurs, c’est quoi le sujet ? J’ai bien peur de m’en être égaré au point d’avoir perdu le fil, les neurones parfois ont des drôles de fonctionnement qui s’en viennent rafraichir le présent des buées du passé, c’est tout de même marrant de cueillir les odeurs et les sons de la vieille ferme sans se rappeler s’il y faisait froid. Peut-être tout simplement, parce qu’il y faisait bon. Oui, il y faisait bon et ce sont des bonnes heures qu’on y a vécu, des bonnes heures et des bonheurs, même si les heures sont parfois teintes de chagrin, les vies ne disparaissent pas, elles s’effacent pour s’en aller ailleurs surveiller le foyer et les générations qui viennent l’entretenir.

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