hiver

Hiver, i vert, plutôt sans vert, ou bien sang vert ? L’hiver sans vert, l’automne a déshabillé la nature après l’avoir parée de ses plus beaux atouts, il habille, il reprend, il brûle, il noie de ses pleurs avant de rugir en frimas pour défier l’hiver, le seul, froid, droit comme un I qui remet tout le monde à égalité, drapant les paysages d’un linceul étincelant, noyant les contours, arrondissant les angles, l’hiver est médiateur, il masque les différences, il colorie les paysages, il durcit jusqu’à l’eau, cette eau vive si riante, si limpide, si maitresse du cours de sa vie, ne voila-t-il pas qu’elle trouve ne l’hiver son maitre absolu ? Cascade de glace ou simples stalactites, carapace de glace bientôt recouverte de neige masquant ainsi le trésor de vie, l’hiver sait effacer les traces et changer la cartographie des lieux les plus connus. Et nous, pauvres hères, promeneurs errant dans ces vastes étendues immaculées, nous, modestes randonneurs gravissant les lieux de nos pas espacés par la taille de nos raquettes, nous cherchons des yeux les repères que nos cartes dessinées en plein été nous montrent : le trait bleu d’un ruisseau, les courbes d’un relief, mais ici, tout est blanc.

Blanc ? Oui, pas sans blanc, pas de semblant ni de sang blanc, une couche fine et légère que la patte d’un oiseau a à peine enfoncé, empreintes temporelles qui rappelle les moulages de plâtre des jeunes années scolaires, sauf que là, le plâtre ne figera jamais, le creux des doigts graciles à peine marqués seront tout à l’heure noyés de neiges fraiches ou bien encore, noyés de neige fondante et ainsi gommés à jamais, tout comme les pas sur le sable que la vague fait disparaitre. Mais cette trace fragile, est un bonheur fugace, une joie simple, un retour vers l’enfance, dans ces courses au long cours qui me menaient au moins à cinquante mètres de la maison familiale sise sur un contrefort de Pyrénées, la vieille luge en bois tirée par une ficelle de lieuse ayant gardée ses douces odeurs de fenaison, chargée des trésors que seuls les enfants peuvent comprendre, tapis en rémission d’une vie où il fut tapis, boite en fer blanc qui su abriter des ces délices sucrés qui régalent petits et grands mais dont la noble tâche du jour est de garde intacte la carte au trésor, quelques billes et un vieux briquet que mon père devait encore surement chercher…. Oh ! J’étais trappeur perdu dans le grand ouest canadien, David Crockett sans sa coiffe, mais il est vrai que j’avais moi un bonnet bien plus beau, tricoté des mains grand-maternelles avec son pompon de laine chamarrée, mais nos montagnes à vaches valaient bien plus de danger que les images noir et blanc télédiffusées. Ma carabine à bouchon fièrement portée en bandoulière, je traquais les bêtes qui, pas si bêtes, se cachaient fort bien puisque qu’aussi loin que je me souvienne, je suis toujours rentré bredouille, les doigts gourds et les pieds humides, bien vite réconforté d’un bol de lait chocolaté et de belles tartines de ces miches de pain du temps où les boulangers mettaient la main à la pâte. Mais revenons à nos moutons, comment ça, il n’y en a pas ? Et bien si ! Il y en a, de jolis moutons tout blanc, et forcément, blanc sur blanc, comment allez-vous les voir ? Observez ! Ne soyez pas pressés, étourdissez-vous de ces crissement de neige qui se tasse sous nos pas, regardez au sol les creux et les bosses, véritable cache-cache de dame nature. Une pierre, une touffe d’herbe, tout comme une simple feuille morte, la neige tombe et recouvre le tout, mais la chaleur du sol, la chaleur des rayons solaires vont thermoformer ces traits de nature dans la blanche copie.

Heureux hiver qui rend blanche copie sans être conspué ! Loin de lui l’angoisse de la page blanche, pire, c’est pour lui un devoir accompli ! Nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne ! Peintres, écrivains, gribouilleur ou jongleur de mots et de couleurs, l’important pour nous est bien de colorier la page vierge, tandis que l’hiver lui se fait joie de tout blanchir et engloutir. Œuvre temporelle, magie du temps, comment verrais-je la course du lièvre autrement mieux que dans la lecture des traces de ses pattes regroupées et en sauts espacés ? Comment aurais-je appris les différents ongulés qui peuplent mes montagnes si ce n’est par leurs pointures et le nombre de leurs sabots ? Comment aurai-je appris à lire un paysage dans ses traits les plus caractéristiques, fussent-ils lointains, sans cette candeur qui nous rappelle à chaque hiver notre innocence première, celle d’où l’on vient, celle d’avant les savoirs, celle par qui on apprend aussi que tout est temporel, que rien n’est jamais acquis d’avance et que la plus blanche des pages n’est jamais qu’un prélude à l’écrit, une piste pour une plume ou bien encore un pinceau. Loin d’être froid, l’hiver réchauffe le cœur et éveille l’esprit, comme s’il fallait ainsi nous rappeler combien les choses prennent tout leur sens lorsqu’elles deviennent invisibles, comme s’il fallait l’absence pour mieux en mesurer la présence. Hiver, tu es là, enfin presque, les frimas sont long à s’installer, mais je sais déjà ma joie de te retrouver pour aller lire en toi les traces de vies sauvages, lien vers cette mère nature et sa grande famille dont oublie trop souvent la richesse toute proche.

2 commentaires:

Mo.F a dit…

pas extra terrestre Didier...humain et tellement humain que chaque phrase est capable de réveiller en nous cette part d'étonnement poétique que nous avions TOUS enfant et que des couches de neige accumulées sur nos vies d'adultes ont parfois enfouie au point que nous ne sachions comment déblayer notre mémoire pour le retrouver...Merci Didier-sans-prétentions...merci sincèrement et tout simplement ...

Didier a dit…

Merci!
Longtemps je me cru extraterrestre ou pire martien, avant de comprendre que je n'avais tout simplement pas rencontré de véritables humains. Chose faite, je vais devoir reprendre ma présentation et faire longtemps briller la flamme de l'humanité, sans aucune vanité et toujours sans prétention.