Corrida

La lente agonie du taureau, c'est à cela que je compare la vie. Des passes, bonnes et mauvaises, des coups reçus, des courses inutiles où l'on fonce et où l'on s'enfonce un peu plus dans le noir, des banderilles amèrement colorées plantées dans votre dos pour faire gicler un peu plus le sang de vos énergies, le regard qui devient vitreux, et soudain le coup fatal, vers lequel on plonge car au fond, il est bienvenu. Stop aux souffrances, assez d'errances, trop de mauvaises couleurs dans un drame en faux actes qu'on appelle la vie. Basta cosi. C’est si facile de choisir la sortie, les quatre fers en l’air, après tout, en ignorant s’il y a ou non une vie après la vie, on s’affranchit d’une dimension tragique pour ne visualiser que le positif de l’expérience, fut-il dans la fin, futile, d’un parcours inutile. Noir. Noir majuscule. Noir taureau.

Facile, dangereux et inutile. Imaginez un peu qu’il y ait une vie après la vie, et que cette vie nouvelle soit pire que la vie actuelle, sorte de spirale affligeante et descendante, mais discours provocateur, certes, pour éveiller la conscience que rien n’est pire que de ne pas clore un épisode par la vie, que de ne pas jouir de la leçon apprise, comprendre que les abattements ne sont pas des abatages, et surtout, que la vie est le bien le plus précieux qu’il nous soit donner. Partir ? Oui, mais pas comme ça, juste quitter la pièce en éteignant la lumière, s’en aller respirer et vivre ailleurs dans d’autres sphères, d’autres volumes, d’autres proses peut-être même, comment se priver des mots ? Un rapide coup d’œil vers le compteur anonyme, le cap des cinq cents est passé, le cas des cinq sens fut évoqué, et même plus, au vu des pages déchirées, des mots envolés, c’est tout de même marrant une vie. Il y a ces bougies qu’on allume, il y a ces diamants qui brillent au fond des yeux, il ya ces cœurs qui se serrent à presque éclater quant ils ne se brisent pas sous les flots des sanglots. Il y a hier, ou plutôt, il y a eu hier, il y aura demain, c’est certain, il y a surtout aujourd’hui, ce présent du présent. Tout est clair, calme, posé, les cartons sont fermés, les poubelles à vider, la paix retrouvé. C’est quoi une vie ? question sans réponse ou plutôt, question à multiples réponses, une par individu, le cachet de la poste faisant foi, le gros lot de la tombola fera de vous l’unique gagnant de cette pause introspective, c’est quoi votre vie ? Dans quel but ? Pourquoi ? comment ?

Pour moi, la vie c’est comme cet enfant qui essaie de prendre toutes ces billes dans ses petites mains, trop petites pour tant de trésors, alors il serre, mais des billes s’échappent et tombent, alors il les joint mais difficile d’y loger les billes au creux de ce nid, alors il explose et retente, prend son pull comme un panier qui, poignée après poignée devient trop lourd, la laine glisse d’entre les petits doigts crispés et dans un vacarme plein de rebondissements, les billes tombent et roulent vers d’autres horizons, dispersion des trésors convoités, les larmes qui roulent sur les joues sont aussi nombreuses que ces bouts de lumière qui jonchent le sol, qui l’occuperont jusqu’à derrière les meubles pour ne réapparaitre qu’aux jours des grands nettoyages ou de déménagement. J’ai perdu mes billes, ou plutôt, les billes, trop pressé, trop envieux, elles sont parties dans leurs directions et je suis tombé ici bas, puis, le jour du grand nettoyage, j’ai retrouvé de ces éclats de verre, des ces trésors perdus et avec les souvenirs se sont clos des pages, des blessures pas si enfouies que cela. Nostalgie ? Peut-être, mais pas négative, ni génératrice d’envie de retrouver ces passés, non, au contraire, content de retrouver ces poteaux de départ qui aident à mesurer le chemin parcouru, troublé par ces rappels et par le grand coup de balai. On ne peut avancer en s’accrochant aux branches de la forêt des souvenirs. A moins d’être archéologue ou historien, on n’avance pas par le passé, mais par la façon dont on l’a digéré. Evolution. J’ai souri à ces billes cachées puis les ai enfoui à jamais dans la poche non pas des souvenirs mais celles des trésors de l’enfance, quelques vieux lego, des petites autos cabossées, des billes, un vieux boulard en terre tout craquelé et porteur de cicatrices des nombreux coups reçus, comme il y a quelque part aussi, des cahiers, des carnets qui sommeillent de mots en vers enfantins, de poèmes dont les maitres littéraires n’ont rien à craindre, des dessins aussi naïfs que peuvent l’être ces formes d’hiéroglyphes dont les parents furent si fiers. On vit, on prend, on entasse, et on meurt de trop de ces désordres accumulés. C’est fini. La gomme reste magique, les éboueurs de fabuleux complices, les agendas s’animent de zébrures de tippex ou bien encore d’effacement électronique, le passé recule et s’enfuit à pas de loup, à l’heure pâle d’un jour pas encore tout à fait naissant, le ménage du printemps d’une vie n’est qu’un précieux moment de bonheur.

Les banderilles sont tombées, emportées par la chute de ceux qui les ont posées, le sang faible a finit par sécher et boucher les blessures, l’énergie bien trop faible pour ne pas s’auto protéger à lentement prospérer avant de gravir les échelons de la maximalité, le regard n’est plus baigné de larmes, n’est plus aveuglé de haine, inutile, toujours, non, le regard est fier, droit et intense, au point de dresser la tête pour mieux voir et voir plus loin, les passes sont de mieux en mieux assurées, les coups s’évitent, la porte va bientôt s’ouvrir vers les prairies ondoyantes sous un ciel d’azur. La lente agonie n’en fut pas une, le genou à terre n’est pas preuve d’allégeance mais de répit, l’échine fut courbée mais jamais rompue, trop tard même, elle est aujourd’hui fièrement dressée. Vade retro empêcheurs de tourner en rond, pantins de fausses lumières, personnages trop brillant pour être honnête, restez dans l’arène, vous n’en êtes pour autant pas roi.

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