Matin blême

Qu'ils sont agréables ces petits matins où comme disait le poète, l'aube blanchit la campagne, l'air vif et humide du matin vient distiller les parfums d'une flore méconnue, les vagues lasses viennent y ajouter leur grain de sel aux arômes d'iode, le sable glisse tout en fraicheur entre les orteils, l'horizon semble vide sans les reflets d'un astre au couchant, d'ailleurs, il est où le soleil? Encore au lit de nuage, encore alangui tandis que mes premiers pas du jour sont pour cette communion avec les éléments. Que n'ai-je donc écrit sur ces terres d'ici? Cet endroit où la terre s'affine, devient terre de bruyère, puis se couvre d'or, ces grains fins qui volent, s'enfoncent et surnagent, remontent à la surface, recouvrent les sols jusqu'à cette limite du pays où l'eau recouvre cette poudre fine, coquillages broyés, jusqu'à ces vagues qui dessinent tant de frontières différentes au gré des marées, au gré des humeurs, au gré des tourments, au gré des colères, un océan toujours vivant, jamais en grève qui vient sans cesse refaire les volumes de la grève, un océan immense et plein, un booster d'énergie, un maitre, bien loin d'autres flaques trop calme, ici la force est dans la régulation, jamais semblable, toujours différent, il n'est jamais un jour pareil, il n'est pas une plage identique, il n'y a jamais les mêmes conditions, de baignades comme d'observations, de farniente comme de méditation. Il y a de la force dans ses moments calmes, il y a de la majesté dans ses grondements, il y a toujours ce subtil dosage qui fait la réussite de la recette, la chaleur du piment dans la saveur du poivron, le sucré des carottes dans l'acidité des tomates, c'est en vivant l'océan d'ici qu'on comprend les recettes du pays, les piperades et autres axoa, les couleurs d'une terre ne peuvent pas être travesties, il n'y a pas meilleure leçon de vérité, l'authenticité devient une simple évidence alors qu'elle se perd tant au-delà.


Le regard s'étend, balaye ces paysages connus et semblant inconnus, à lumière différente, couleurs différentes, même les formes semblent différentes. La forêt elle-même s'essaie au combat des embruns, sa première ligne n'est plus que squelette en court de démantibulation, les aiguilles ont chu, le bois à blanchi, les rameaux finiront par se briser sous la force des vents, les troncs exsangues tomberont à leur tour, mais ils résistent, servent de bouclier à d'autres qui ainsi protégés développent leur force, poussent et grandissent, deuxième ligne de rempart abritant encore mieux d'autres arbres, pour d'autres développement, pour d'autres poussées, pour d'autres altitudes, et, du bord de ma plage, c'est amusant de remarquer ces poussées successives, successivement hautes, qui donnent l'impression que la pinède fait le gros dos pour résister à la vague des vagues, aux vagues d'embruns, au sels déposés par les vents. Le combat est permanent, la vie est à ce prix, mais y-a-t-il une autre philosophie de vie? Ne se bat-on pas pour garder ce qu'on a, ne courbe-t-on pas l'échine pour résister, gagner du terrain, grandir à l'abri, protéger les siens, et poursuivre son développement? Nous n'inventons rien, nous vivons dans les sillons que tant de générations ont tracés, dans ce que la vie a su construire, dans toute l'étendue de ses règnes, végétal ou animal. Les exemples nous crèvent les yeux, nous cherchons à inventer ce qui existe déjà, l'homme dans une sorte de prétention démesurée reste persuadé qu'il est supérieur en tout, supérieur à la nature, supérieur à ces propres aïeux, sa propre arrogance l'empêche de voir les exemples du passé, les constructions d'hier, bâtisseurs de cathédrales, pyramides égyptiennes ou incas, pour ne citer qu'exemples architecturaux, plus près de nous, la gestion hydrauliques des bassins de Versailles, ou bien encore, les polders hollandais, quand nous ne sommes pas foutus dans notre vingt et unième siècle technologique d'entretenir des digues en Vendée. Mais chut! Le calme du matin apaise mes tourments, la plume glisse sur la feuille, je n'ai pas envie de m'énerver, je laisse à hier ces combats futiles, je préfère ma vie d'aujourd'hui, à un détail près.....


Respiration, méditation, observation, l'énergie est bonne à prendre, la gomme fonctionne, pour avancer il faut savoir lâcher du lest, les lests de nos vies pas lestes, non pour atteindre une vie céleste, mais pour profiter au maximum d'une vie quotidienne, non pas à l'est, mais toujours cap à l'ouest ! Certains disent qu'ils sont à l'ouest lorsqu'ils ne savent plus où ils en sont, moi, c'est à l'ouest que j'équilibre mes forces, que j'apaise mes tensions, que je prends la mesure et la pulsation de ce monde, que je recharge ma pile. Un matin blême au bord du monde, mais déjà le ciel déchire la couverture des nuages, mais déjà le bleu éclaire la matinée, le décor change, les couleurs prennent d'autres couleurs, ici, l'émerveillement est permanent. Vivre, respirer, être, tout devient si facile. Oublier, classer, déchirer, changer de page, ne pas relire, ne pas recopier, mais écrire, créer, déposer sur le papier blanc les mots en bleu, non pas les bleus de l'âme, mais le bleu de l'encre, cette encre qui sait si bien poser l'ancre ici, inspiration dans la respiration offerte...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Merci pour ce moment d'évasion qui tombe à pic après quelques jours difficiles.

Bisous

L'auvergnate

Didier a dit…

si un matin blême peut apporter de la couleur sur la journée de quelqu'un, alors ce blog, comme son auteur, a une raison d'être.....

Vive l'arc en ciel, non pas pour ce qu'il est, mais pour la pétillance qu'il met dans le regard des gens....