Bon anniversaire papa!

Aujourd’hui tu fêtes tes 75 ans, trois quarts de siècle comme on aime à dire, bien que je n’aime pas trop cette dénomination qui laisse apparaître un aboutissement, mais ce terme de trois quarts, sur nos terres de rugby prend surtout une saveur particulière. Le temps passe, les années s’empilent, et au long cours de nos vies, je n’ai pas toujours mesuré l’intensité de notre relation, bien étouffée par la pudeur de nos vies d’hommes, pourtant belle et bien présente, intense et variée. Il y a toujours eu et il y a toujours de l’amour dans tes gestes, tes actions, pas toujours visible par de fausses timidités et modesties qui en effacent le côté démonstratif. Pourtant, tu voles toujours au secours des oisillons du foyer, et même des oisillons tout court, lorsqu’il s’agit d’aller aider toutes ces identités qui peuplent ce qu’on nomme la famille. Force de la nature, tu uses sans compter de ta santé, de ton temps, de tes savoir-faire, de ton ingéniosité. Tout est prétexte à bricoler, à s’occuper. Les joies de la cheminée, que tu as construite et qui génère aujourd’hui, non seulement des économies mais aussi de belles parties de bûches. Faire le tour de la famille, des voisins, des amis pour grouper les commandes, s’occuper de la livraison, débiter les troncs de deux mètres de long en section de cinquante centimètres, les fendre avant de les stocker, ramasser les copeaux et la sciure, nettoyer, ranger, chez toi, comme chez les autres…. Ce fut aussi l’occasion de démontrer tes talents, en construisant l’impossible machine qui désormais d’une légère pression sur la manette, fait éclater les troncs les plus solides.

Au-delà des travaux saisonniers comme le bois, il y a le fond de commerce, sans réel jeu de mots, mais pourtant utiles aux affaires, j’ai nommé le jardin. D’aussi loin que ma mémoire se souvienne, j’ai toujours ces images de jardins, mais pas de simples potagers, de ces jardins où les fleurs ont leurs parts, ne serait-ce que celle d’égayer la maison et encore plus les extérieurs. Qu’importent le temps passé sur les routes, les heures de travail, les fatigues accumulées, il y a toujours eu du temps de passé à faire pousser les légumes et les fleurs, arracher les mauvaises herbes, travailler la terre qui a toujours nourri la famille et même les amis, car les proportions étant toujours généreuses lors des plantations, les récoltes abondent. Je me souviens de notre jardin lorsque nous habitions Lardenne, il était mon terrain de jeu que je parcourais en vélo, et même lorsqu’il fallait suivre le cours de l’eau dans les rigoles d’arrosage, loin d'être une punition, cela devenait des canaux où naviguaient les bateaux. Je me souviens aussi de notre arrivée dans cette maison, du premier jardin où la terre pauvre encore avait du mal à nourrir les pieds de haricots verts, les faisant culminer à quelques centimètres à peine du sol, mais déjà, le jardin était là pour nourrir les vôtres, et constituer ce que vous avez appelé le troisième salaire en ces temps assez difficiles… Quelques volailles et des pigeons pour compléter, générant eux aussi du travail supplémentaire, tout cela a fait un papa surbooké, loin des images actuelles des papas internetisés ou encore lobotomisés à coup de console de jeux…. Autres temps, autres mœurs.... Sans regrets.

A écrire tout cela, la vision d’un homme occupé ou trop occupé par son travail et les tâches domestiques semblerait être le réel portrait. Il n’en est rien ! Je me souviens aussi de mes années de football, où tu venais nous accompagner pour chaque déplacement dans tous ces charmants endroits reculés de notre région, transportant parfois plus d’enfants que la réglementation ne l’autorisait, et surtout, accumulant d’autres kilomètres après la semaine faite sur les routes du temps où tu étais représentant…. Toujours présent pour ces matchs extérieurs où bien souvent je n’étais que modeste remplaçant, refusant même la gratification du club en demandant qu’elle soit transformée en achat de jus de fruits pour les gamins que nous étions. Oui, c’est cela mon papa ! Un être ne sachant pas comment montrer son amour aux siens, préférant l’anonymat du geste là où tant la ramènent plutôt avec force, pour bien peu d’efforts fournis. Je n’oublie pas non plus la maison de la montagne, les sommes de travaux, les monceaux de pierres, le béton fait à la pelle, pour rebâtir cette humble demeure. Courage et abnégation sont les mots premiers qui me viennent en évoquant tout cela.

Il y a des choses que seul l’âge adulte, celui que l’on a ou que l’on n’a pas, même adulte, permettent de comprendre et de réaliser. Aujourd’hui, au travers des travers de ma vie, il est des choses que j’ai enfin comprises, des amours que j’ai enfin réalisés. Quelle imbécillité que nos statuts d’homme qui, dès l’enfance, nous contraignent dans des carcans bloquant l’expression de nos sentiments, quelle bêtise que cette pudeur qui annihile la facilité de dire son amour aux gens qu’on aime. Tant de choses incomprises qui un jour se comprennent, tant de remords de n’avoir pas vu, de n’avoir pas senti cela au lieu de colères adolescentes, pourtant il n’est jamais trop tard pour te dire que je t’aime, et que je ne saurais jamais vous exprimer à maman et toi toute la gratitude, les remerciements et la reconnaissance du petit garçon que je fus, que je suis et que je reste pour vous.

Bon anniversaire papa, du plus profond de mon cœur.

2 commentaires:

MoF a dit…

Un très beau portrait de père...et en filigrane un portrait de fils extrêmement touchant.
Je lis actuellement "Chacun cherche un père" de Marcel Rufo ...eh bien
je crois que vous, vous l'avez trouvé :)
Cordialement MoF

Didier a dit…

Merci beaucoup, j'en suis touché.