1er mai

1er mai, jour de défilé, grand jour de marche ou jour de grande marche, c’est selon, mais ce fut jour de randonnée surtout, retour aux sources après un bail d’absence pour des causes diverses, des causes perdues, des causes oubliées. Retour au monde de la randonnée, aux belles virées salutaires, aux bonnes ambiances retrouvées, camaraderies, détentes, instants de vies, mélange de toutes ces choses qui font nos différences et qui subtilement assemblées, font notre union. Des sourires, des bons mots, des visages amis retrouvés, des visages nouveaux un peu perdus dans ces liens semblant être tissés si fort qu’ils ne laisseraient pas la place à intégration, mais très vite, le temps de se mettre en ordre de marche, les groupes sont formés, les discussions plus participatives et plus ouvertes à l’autre, cet autre qui fait peur et à peur de ces groupes institués. Nous partîmes non pas cinq cent, mais soixante, ce qui est déjà pas mal, sous un ciel en chagrin pleurant ses larmes sur la ville et notre route, jusqu’à un point stratégique, sorte de frontière climatique qui bloque les nuages de pluie issus des contrées océaniques ou pyrénéennes comme en d’autre temps, certaines frontières ont su bloquer les nuages radioactifs, sauf que là, ça a plutôt bien marché. Ciel dégagé, de plus en plus bleu, temps sec, voilà l’idéal pour randonner. Certes, l’eau est tombée, ici comme ailleurs, les cours d’eaux ont grossi, débordés de leurs lits, rendant certains passages à gué plus gais. Pour qui connaît ces coins-là du Lot en période estivale, tout craquelés de chaleur, où l’on cherche les chemins serpentant sous la bienveillante ombre des ramures vertes foncées des chênes, venir randonner ici en ce premier jour de mai, sur ces terrains gorgés d’eau, ruisselant encore des pluies anciennes, le paysage éclairé par le vert tendre des feuilles juvéniles donnent l’impression de ne pas connaître, de ne pas reconnaître les lieux…. Terre méconnue que ce Quercy, dont on ne retient trop souvent comme images, ce causse desséché, ces herbes jaunies de soif, ces graviers ocre pale, que traverse la célèbre route nationale vingt, avant d’atteindre les paysages plus verdoyant, et pour cause, de la Corrèze. J’y ai des souvenirs, familiaux, heureux, des bonheurs, des joies, et même encore, un sacré plaisir à y revenir tant dans ma mémoire d’enfant, les distances et les temps de parcours semblaient placer ces lieux de vacances ou de week-ends en des endroits dignes des romans de Jules Vernes. Aujourd’hui, l’autoroute nous y conduit en un peu moins d’une heure, mais la magie ancrée dans les limbes de l’enfance opère toujours. Se retrouver ici, en ces terres cadurciennes pour démarrer la saison des randos n’est que bonheur. Nouvelle saison, nouveau rôle, place aux nouveautés, le cœur léger, l’envie de vivre chevillée au corps, l’envie de plaisirs, de ces plaisirs simples, ressentis, échangés, reçus comme autant de rayons de soleil, renforçant le bonheur de vivre.

Un charmant village accroché à une boucle du Lot nous sert de point de départ de notre parcours. Quelques pas plus haut, la végétation s’épaissit, masque le chemin, nous conduit dans ce dédale de vert et d’eau vers des lieux où le plaisir des yeux va bon train. L’occasion aussi, de former aux mystères de la cartographie, les nouveaux membres venus renforcer l’équipe des encadrants. D’un seul coup, le poids des années d’expérience se révèlent dans la mission formatrice, et, les éclats de rire n’ont pas à se forcer pour jaillir et rejaillir dans tout le groupe, curieux de nous voir sans cesse la carte et la boussole à la main alors que le chemin en cet endroit-là est des plus évident. C’est toujours chose émouvante de former quelqu’un à des techniques qui nous semblent à peine maitrisées et si connues de beaucoup. Pourtant, au travers des questions, on réalise bien vite combien le sujet semble abstrait pour celui qui découvre. Les ruisseaux chantonnent gaiement, le parcours s’élève gentiment, quand soudain, nous voilà à pénétrer une forêt magique digne de décor de cinéma fantastique. Les arbres entremêlés sont tous recouverts de longs cheveux verts, donnant un aspect étouffé et étouffant à ce tunnel de verdure que nous traversons en nous attendant à voir débarquer quelques trolles ou autres lutins facétieux. Voilà qui rajoute à notre comique ambiant, détend l’atmosphère déjà fort détendue et place là les bases d’une très belle journée. Le soleil de son côté ayant bien fait les choses, c’est sur une pente bien sèche que nous nous sommes installés pour prendre notre repas, ainsi que toutes ces choses succulentes qui circulent de personne en personne, dans des versions solides ou liquides, toujours faites maison, expressions culinaires et alambiques à des divers degrés des facultés de chacun. D’ailleurs, en parlant de la faculté, mieux vaut être à jour de ses analyses avant ces vrais moments de convivialité. Allez, un bonbon à la menthe forte qui arrache, et sac à dos à dos, revoilà la joyeuse transhumance de ces impénitents pèlerins à la découverte de nos belles régions.

Ici le relief est bien utilisé par l’homme, les bois s’irriguent aux rives des ruisseaux, les vignes succèdent aux bois et peuplent bien sagement alignées, les sommets des collines, comme quelques cheveux bien peignés essayant de masquer une calvitie plus que naissante. Pays de vin, pays de vignoble, pays civilisé comme toutes ces terres où poussent le raisin. Le raisin et la raison, voilà bien la justesse des hommes, tout l’art vinicole dans la réalisation viticole, la production du nectar nécessite à la fois raisins et raisons, subtils mélanges, assemblages plutôt, résultats d’expériences acquises puis inculquées. Il est bien loin le temps des piquettes et autres breuvages résultant d’alcoolisation de mauvais jus, l’heure est au raisonnement, à l’agriculture, à la viticulture raisonnée, au délicat élevage des jus en phase de fermentation, à leur surveillance pour, le moment opportun venu, définir l’assemblage des qualités de chacun pour constituer l’union parfaite. Tel un sélectionneur étudiant poste à poste, la forme, le jeu, les caractéristiques de chacun de ses joueurs pour réaliser l’équipe parfaite, celle qui mènera à la victoire et au titre. Comprendre ce long et délicat travail qui constitue le trait d’union entre le verre de vin offert au palais et le cep noueux dont les racines s’ancrent bien profondément dans ces sols caillouteux, aident à avoir une autre vision de ce qui pourrait passer pour une étendue monotone de pieds bien alignés au-dessous d’échelas tendus et encore désertés. La vigne, l’homme, la civilisation. Trilogie dictant les paysages, éléments devenus repères naturels du défilé des saisons, calendrier païen qui ponctue le monde. Attirance. Plus pour le labeur viticole que pour ses résultats, même si j’aime à en goûter le produit. Travail de longue haleine, au cours des saisons, on taille, on travaille, on tresse les pampilles, on redoute la grêle, l’absence de pluie, le trop de pluie, les rayons trop chaud du soleil, la floraison du Lys qui démarre le compte des cents. Et le compte descend, de jour en jour, de cent vers un ce un qui marque le jour où l’heure est venue de lancer les campagnes, à l’assaut des campagnes, les hottes sur le dos, les sécateurs au poing, cueillir les grappes, rondes, juteuses à souhait, celles qui s’entassent à coup de hottes dans le tombereau, à coup de tombereaux dans la cuve où la vis sans fin dirige et presse la noble marchandise vers le pressoir. Sans fin la séparation des corps opère : rafles dénudées d’un côté, grains écrasés de l’autre, expulsant ce jus gorgé de miel qui s’en ira fermenter en cuve sous haute surveillance. Les rafles déchues rejoindront le purgatoire de la distillation. Sous le feu divin, elles exhaleront des nuées d’alcool que l’alambic refroidira bien vite pour les condenser et les faire couler en jus clair, transparent, incolore mais pas inodore, capable d’aller brûler encore des lèvres et des langues assoiffées. De la coupe aux lèvres, il n’y a qu’un pas, certes, mais avant de remplir la coupe, combien de pas contiennent donc ces fioles de soixante quinze centilitres ? Travail des hommes et communion forcée avec dame nature, aujourd’hui nous longeons ces vignobles étalés sur les croupes ensoleillées. Les premières feuilles sortent le long des rameaux taillés. Taille bien vite identifiée, un brin court, un brin long, c’est ainsi ici qu’on taille ses vignes.
Derniers ressauts du paysage, le chemin plonge vers le fleuve boueux charriant des troncs de bois arrachés de-ci, de là. En bas, tout en bas, notre bus, au pied du village. Sur la plage, des boulistes jouent, nos camarades au pas plus pressé, sont déjà attablés à la terrasse du bistrot, se délectant de quelques houblonneries qui par un aspect quasi médicinal bien connu des randonneurs, vont venir drainer le vilain acide lactique, causeur de méchantes crampes. Encore quelques mètres, encore quelques pas, nous y seront nous aussi, au terme de cette bien belle balade.

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