La
pluie est tombée, cela a duré peu de temps, mais elle est tombé drue, si drue
qu’il est impossible sans l’avoir vécu d’imaginer pareil spectacle : des
murs d’eaux mêlées de grêles, des coups de vents et l’obscurité en plein jour.
Terrible spectacle digne d’une fin du monde, tellement surnaturel que le regard
scrute sans fin les cieux pour tenter d’y voir une éclaircie d’accalmie, mais
non, rien, que du gris dans ses tons les plus sombres. Et puis soudain, le
regard se baisse, et là horreur, il n’y a plus de relief au sol, tout n’est
qu’un vaste lac dont la surface se ride sous les impacts des gouttes qui
tombent et martèlent sans cesse. Du jamais vu ou presque. Presque. Il y a
quelques années pareil spectacle fut pareillement programmé, et si les conséquences
paraissent aujourd’hui absolument démesurées, ce n’est que parce qu’entre
temps, les constructions, le béton, le goudron n’ont fait que progresser et
dévorer les espaces arables. L’eau n’est plus bue par la terre, elle glisse sur
son linceul. La terre se meurt et l’Homme est à la fois son bourreau et son
fossoyeur.
Parkings
et caves inondés, appartements construits en rez-de-chaussée qui ne sont plus
des rez-de-chaussée mais des niveaux inférieurs aux niveaux des sols rapportés,
comment le bon sens peut-il avoir ainsi disparu ? Quelques parpaings
d’économisé, c’est autant d’argent gagné pour le constructeur, c’est autant de
danger pour les occupants. Routes et
déroutes, automobiles dans le décor, automobilistes en panique, les
précipitations apportent la précipitation et chacun plonge dans le précipice.
L’eau est tombée, elle s’est enrichie de terre au gré des talus, la boue rend
plus glissante les chaussées et les trottoirs camouflés, regards marron sur la
ville, nous nous retrouvons marron devant pareille activité somme toute
naturelle, nos technologies nous sont d’une inconsidérable inutilité. Rappel
efficace de notre fragilité dans notre supériorité toute de façade, rappel de
notre infériorité devant les forces de la nature. Coup de foudre et puis plus
rien, l’électricité n’aime pas celle venue du ciel, tout a disjoncté, noir
c’est noir, il n’y a plus de soir. Quelques jours plus tôt, la chaleur
suffocante de ces jours qui n’en finissent pas nous imposait des coups de
fatigue à répétition et une nonchalance extraordinaire. Ce soir, voilà qu’on
respire mieux même si étrangement, l’eau n’a pas rafraichi les températures.
Comme
elle est venue, la pluie s’est enfuie sans même jeter un regard à ses vastes
étendues nées de ses larmes. Désolation sur morne plaine, les yeux cherchent à
deviner les reliefs du sol, puis scrutent sans fins ces cieux sombres.
Heureusement, ce coin de terre n’a pas un coeur d’argile, lentement mais
surement elle boit et draine ces eaux rendant enfin à l’herbe la primeur des
regards. Bien sûr, il restera des traces indélébiles, des traits, des rides,
des chamboulements. Les heures qui suivent seront particulière, dame météo
annonce encore des jours de furies pluvieuses, l’Homme est un chien qui aboie,
la pluie une caravane qui passe. Il y a tant de malheurs, de victimes
innocentes des promoteurs peu scrupuleux, mais quand donc cesseront de
raisonner sur des moyennes saisonnières pour enfin se protéger face aux
maximales fussent-elles rarissimes ? Faut-il donc être des éternels rêveurs
ou bien un jour, retrouver le bon sens paysan de nos anciens ? La pluie
est tombée, drue, épaisse et mal fardée. La pluie est tombée et nous ne n’avons
que nos yeux pour pleurer. Amère désolation. Après la pluie, vient le beau
temps dit-on mais pour l’heure, il pleut, il mouille et ce n’est pas vraiment
la fête à la grenouille…..
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