Les tempêtes de l’hiver
ont parsemé la côte et les plages de mille débris, déchets en tout genre que
les hommes ramassent chaque jour pour bien préparer l’été, bois flottés de toutes tailles jusqu’au modèle tronc entier. C’est sur cet étonnant banc déposé sur le
sable qu’il vînt s’asseoir en cette fin d’après-midi bien ensoleillé, un
bouquin entre les mains, une lecture intimiste qui convenait parfaitement à ce
boudoir personnel qu’est ce bout de plage… Avant de disparaitre dans les
brumes des souvenirs, il leva la tête du côté des montagnes dont les contours
étaient presque tous estompés dans les nuages tassés dans ce coin de France et
il en sourit : il rentrait juste de quatre jours de marche là-bas, quatre
jours à marcher au gré des nuages, au rythme des pluies, au son des parapluies…
quatre jours à mesurer combien la nature et surtout la nature de ces
endroits-là prenait le pas sur l’humain et sur la nature des humains. Qu’ils sont
étranges ces humains, peu à peu ils s’éloignent de ce qualificatif homonyme,
les humains sont de moins en moins humains, de plus en plus égoïstes, il
devient de plus en plus difficile de vivre en groupe tant ces égoïsmes s’expriment
de plus en plus en des vocabulaires agressifs et des actes provocateurs. Il est
également difficile de constater combien bon nombre de ces marcheurs seraient
tout aussi bien à marcher autour d’un stade ou d’un quelconque lac puisqu’ils
ne s’intéressent en rien aux lieux, à la flore ou à la faune des lieux, et
surtout, parce qu’ils ne cherchent pas à comprendre l’Histoire et les traditions
de ces lieux. C’est une forme d’inquisition que de refuser les mots, les idées
des autres et des hôtes de ces lieux en croyant que notre seule lecture et nos
seules traditions sont à prendre en considération. Devait-il s’en offusquer ? Non, mieux vaut en rire et passer outre, continuer de marcher, de gravir des
contrées inconnues tout en cherchant à apprendre et surtout, à partager, une
seule paire d’oreille attentive c’est déjà une belle victoire et une
transmission assurée.
Retour à la lecture. Les pages se lisent
facilement, un style clair, des mots faciles, des idées bien réelles qui s’en
viennent réveiller de cruels souvenirs, il avait donc eu un bon pressentiment
de venir les lire ici, sur cette plage qui était une page de leurs vies. Amères
lectures, le soleil chauffait la peau mais les frissons n’étaient pas feints.
La dernière page digérée, il remisa le livre dans son sac puis parti retrouver
la forêt qu’il aimait. Un petit sentier et la magie des lieux opérait :
les mains se détendaient et s’alignaient pour en cueillir les énergies du ciel
et de la terre, les parfums des fougères, la térébenthine des pins, la saveur
suave du chèvrefeuille qui s’en vient vous sucrer les narines, tout cela
contribuait à une véritable communion. Pourtant devant lui le spectacle s’affichait
désolant : le guerrier aux dents d’acier était encore venu prélever sa dîme dans la forêt mais pire encore, la nature était venue à son tour jouer aux
échecs avec lui : c’était une entrelacs de branches laisses sur place et d’arbres
entiers déracinées par les grands coups de vents s’en venant même obstruer la
piste. Il dû la quitter pour un autre sentier, mais très vite, il perdit le fil
de la forêt, sa forêt. Comment cela était-il possible ? Il refit le
parcours dans sa tête, reprit chacun des virages et constata qu’il ne tournait
pas en rond mais progressait bien dans la bonne direction, pourtant, il ne
reconnaissait pas les lieux. Les arbousiers affichaient des longues pousses
vert clair, les chênes de nouvelles feuilles bien plus grandes et bien plus
épaisses, les fougères semblaient bien plus hautes qu'à l'accoutumée, le sentier se faufilait entre branches et souches laissées au sol
mais non, rien de familier. Fallait-il courir en voyant la luminosité décliner ?
Non, il n’y avait pas de raison de paniquer, la marche allait dans le bon sens,
c’est sûr, les travaux l’avaient juste éloigné de ses passages habituels.
Bientôt l’éclaircie d’une
sortie du tunnel, un alignement d’herbes familier, le canal était là puis il
vit la piste et son cœur reprit un rythme habituel. La forêt l’avait recraché,
il reprit connaissance et tenta d’effacer ses émotions, puis il remonta la
piste et sourit en reconnaissant la pierre blanche qu’un petit Poucet avait dû
semer ici pour marquer l’entrée du sentier. Là ! Il pénétra doucement, la
végétation avait grandi et elle resserrait le passage. Lentement il s’enfonçait,
ondulant pour mieux lécher les contours des parois, puis se sentant plus fort,
plus grand, il poussa plus loin et enfin la forêt lui offrit le plaisir, il
retrouvait ses marques et la course devenait plus puissante, plus exaltante. Le
chemin du retour devint vite plus familier et il sourit devant une telle
évidence : il y a toujours une sortie de tunnel, il y a toujours la
lumière au bout, il ne fallait jamais désespérer, ni s’affoler. La patience
demeure une arme redoutable. Toujours.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire