Quel âge aurait-elle?

« Elle aurait eu quel âge aujourd’hui ? » demanda le petit garçon. Pendant quelques instant il refit le décompte dans sa tête puis d’un coup se mit à sourire « c’est terriblement humain au fond de tout vouloir dater tout le temps, d’afficher des nombres sur les évènements, sur les gens » pensa-t-il. Mais comment répondre à un petit garçon que l’âge au fond, ça ne veut rien dire, lui qui avait coutume de dire « l’âge c’est quoi au fond ? Deux chiffres qui s’entendent si bien qu’au bout d’un an, ils se séparent ». Pas facile lorsqu’on est enfant et que l’âge d’être considéré comme grand obnubile et oppresse les belles années d’apprentissage de la vie. Mais on ne peut laisser une question en suspens…


« Vois-tu mon grand, l’âge c’est une chose qui grandit aussi vite que les petits garçons et les petites filles puis après, l’âge change sans grandir, ou plutôt il grandit sans trop changer… Bien sûr il y a les anniversaires, les bougies aux gros chiffres que l’on place sur les gâteaux, autrefois c’était bien plus compliqué, il fallait une bougie par année et donc, chaque année un gâteau de plus en plus gros… Le plus important pour les adultes, c’est quelque chose qui se nomme santé, un truc invisible qui vient vous bloquer le dos ou bien vous clouer au lit en un souffle, mais par contre, si l’on garde son souffle et que l’on pète la santé, là, les années défilent sans que trop rien ne change, alors on oublie les chiffres, on se perd dans les âges et puis, on compte sur les doigts du temps…. Vois-tu mon grand, ta mamy aurait eu quelques ans de plus, mais le plus important, pour toi, pour nous, pour moi, c’est qu’elle ait pu garder son sourire sans que les grimaces de douleurs le lui volent, qu’elle ait pu garder son accent et ses rires pour venir te taquiner, sans oublier de te gâter de mille et une recettes… Oui, c’est cela qui est important chez les grands, bien plus que l’âge, la forme, la santé, rester de grands enfants tout le temps, tu comprends ? »


Quelques larmes perlaient aux bords des yeux trop embués par tant de souvenir, il n’est jamais facile de maitriser les émotions surtout lorsqu’on les sait écrites sur les pages d’un livre fermé à jamais. Ça sert à ça les livres : on les ouvre au hasard, on en lit quelques lignes, une page, un chapitre et aussitôt les émotions fourmillent et vous prennent sans que vous vous y attendiez. Il renifla bruyamment puis durci son visage poupin dans ces attitudes si caractéristiques des personnages qui veulent jouer au dur, puis répondit : « Je comprends que tu ne veux pas répondre, peut-être que tu as peur de te tromper, mais c’est vrai que c’est pas important, elle me manque beaucoup et j’aimerai tant qu’elle soit là… » Comment ne pas être partagé par les émotions, le sourire de la logique implacable de l’enfant, c’est vrai qu’il avait peur de se tromper, on a toujours du mal à retrouver les choses simples telles que l’âge des siens, mais au-delà des sourires, il y avait ce pincement au cœur, ce rappel de l’absence et ce partage du manque. On a tous nos raison, on a tous nos convictions, comment expliquer à ce petit homme que la fin n’est pas la fin, que la vie n’est pas la vie ? Difficile d’imaginer l’invisible, pourtant…. Il revivait ces premiers moments, ces jours d’après, ce vide pesant, cet absence de chaque instant, ce désarroi tout en réalisant que ce désarroi c’était d’abord le sien, son refus d’être désormais face au non visible, ce manque de présence, celui qu’il avait eu tant et tant de fois où il suffisait de donner de son temps, de prendre le temps, de réaliser et de bien vouloir comprendre que rien n’est éternel. On pleure toujours sur soi, sur sa peur devant cet inconnu qui soudain se dresse devant soi. Comment vais-je vivre cela ? Que serais-je sans toi ? Quelques jours difficiles, quelques semaines, peut-être des mois, il ne souvenait plus très bien, ces instants sont si impalpables parfois, le fonctionnement mécanique inhibe toute perception complète des instants jusqu’à ce matin où la caresse sur sa main c’était faite plus précise, plus sensible et ce matin-là lui avait insufflé une grande énergie. Un simple contact inter plan, un geste pour le rassurer, lui dire « je vais bien, va en paix, sois heureux et apaisé » c’est cela qu’il aimerait pouvoir faire comprendre à l’enfant, mais les enfants veulent toujours voir pour croire, plus encore de nos jours dans cette civilisation du toujours pressé…


Il prit l’enfant contre lui, tendrement, bien décidé à ne pas prononcer ces mots trop usés du « tu comprendras plus tard » et tout en marchant à travers les allées gravillonnées, il le questionna doucement, sur son ressenti, la façon dont sa mammy lui manquait, comment lui imaginait toutes ces choses-là, et pas à pas, c’est un dialogue d’adultes sans tabous qui s’instituait, un dialogue auquel ils étaient tous les deux habitués depuis tant et tant d’années, des rapports de confiance, une juste vérité, une relation vraie qui s’est construite, mot à mot, pas à pas, année après année. C’est par ces sujets graves qu’il réalisa combien ces discussions précédentes portaient pleinement leurs fruits aujourd’hui. On récolte toujours ce que l’on sème…. 


Que lui a-t-il dit ? Ils sont désormais très loin et je ne peux entendre, leurs mots sont intimes et leurs pas s’éloignent alors partons à pas de loups…

      

1 commentaire:

Fabienne a dit…

Seul le respect s'impose à cette complicité.