Après
la pluie vient le beau temps, tout comme un sourire du temps, le ciel bleu
éclaire le vert éclatant des prairies gorgées d’eau, le soleil fait du bien
même si le vent se rafraichit encore au contact des neiges quasi estivales.
Etrange pied de nez de dame nature dans ces atermoiements incessants de
réchauffements climatiques, l’eau du ciel est venue remplir les nappes
phréatiques, les neiges se sont entassées sur nos montagnes et les chaleurs ne
sont pas vraiment de mise, de quoi profiter encore quelques temps du coin du
feu.
Il
était là, sous l’appentis, occuper à fendre
les buches, gestes lourds et mécaniques, la hache se lève et tombe en un
éclair sur le rondin de bois, l’éclatant en deux dans un craquement sec, puis
le geste se reproduira pour ces deux moitiés, et les quarts de buches
s’empileront en des tas esthétiques, odorant et craquant sous l’humidité des
jours, le bois reste vivant jusque dans ses morceaux les plus petits. Ces
gestes simples, quasi méthodiques, issus d’un processus où chaque étape a
longuement été pesée, choisie et validée par l’homme, ces gestes ancestraux,
répétés depuis la nuit des temps, il les faisait sans y réfléchir plus que
cela, à vrai dire, il les faisait plus par nécessité que par envie. Sans être
un passe-temps, c’était tout de même une façon de voir le temps défiler, de le
comptabiliser en buchettes, tout comme les écoliers apprenant en compter leurs
buchettes de bois dans la grande salle de classe chauffée par le poêle à bois,
cette salle de classe près de laquelle il venait arranger le tas. Le village
n’était pas grand, plutôt une collection de fermes isolées et de hameaux perdus
à travers la montagne, mais il avait une âme, issue sans doute de ce collectif
d’hommes et de femmes, enracinés aux rochers de ce coin des Pyrénées. Un peu comme la force d’une équipe de rugby
provenant du collectif, de ces liens invisibles et si solidement ancrés entres
les membres, l’éloignement des grandes villes, les travaux des champs, les
rigueurs du climat ont patiemment forgé cet esprit de corps issu de plusieurs
corps. L’école survivait, encore quelques élèves et un maire vindicatif,
refusant de s’associer aux villages voisins pour scolariser les enfants dans le
gros bourg d’en bas, pourtant, le pays se mourrait, les jeunes partaient, les
uns après les autres, d’abord pour des études, longues, très longues, ensuite
pour un travail échappé aux logiques du temps, préférant s’enfermer sous les
néons insipides que de respirer ce bon air libre de ces mouvements jusque dans
ses coups de gueules en vent d’autan. Oh bien sûr, ils revenaient, mais petit à
petit, ce n’était plus que des étrangers, oubliant peu à peu les murmures des
sources cachées, le nom patois des lieux dits, oubliant les gestes si
patiemment affinés, parlant de progrès, cet étrange animal qui dévore jour
après jours le monde d’ici.
Depuis
combien de temps n’avait-il pas vu les siens ? Les derniers échanges au
téléphone n’étaient qu’incompréhensions. Il était question de quitter la maison
familiale, de se rapprocher des enfants, là-bas, dans cette ville si étouffante
et si bruyante, il fallait vendre les dernières bêtes, voir pour les terres et
peut-être la maison, comment peut-on penser cela ? C’est ici qu’il était
né, comme son père et son grand-père, comme ses enfants après lui, c’est ici qu’il
voulait fermer les yeux, une dernière fois, son dernier souffle plein de ce
plein air d’ici, et après lui le déluge, désormais, il ne se faisait plus
d’illusion, les gens d’en bas vous parlent en billets bien loin du langage
d’ici, en saison, en pluie, en soleil, en travaux des champs, en cochon à tuer,
en veaux à naitre, en œufs tout frais…. Le progrès, lui, il s’en fout, il s’est
inventé des supermarchés, où les œufs poussent en cartons de trente-six, les
veaux sous cellophanes et le cochon en saucisses, tout cela contre ses fameux
billets, que voulez-vous, le progrès parle pour eux et comme eux. La mauvaise
humeur enveloppait ses pensées, la hache trop nerveuse faillit rater la buche,
il était temps d’arrêter. De toute façon, la brouette était pleine, de quoi
garnir un peu plus la réserve de l’école, puis il serait temps d’aller porter
quelques herbes aux poules et aux lapins, ça sera la sortie de classe et
les enfants le salueront demandant des
nouvelles des lapereaux à naitre, et combien d’œuf les poules ont pondu ce
jour…. Voilà qui lui redonnait le sourire, la bonne humeur et l’insouciance des
enfants, encore si fiers et si enracinés ici, encore insensible à son vieil
ennemi qu’est le progrès. Puis viendra l’heure des frimas du soir, le temps de
rentrer dans la vieille maison, de donner quelques coups de tison à la buche se
consumant pour en éveiller quelques fumerolles annonciatrices de nouvelles
flammes, puis d’y déposer une branche sèche, et une autre buche. Magie du feu,
dès que les buches se rencontrent et se frottent entre elles, naissent des
flammes de vies, des crépitements et surtout, cette belle odeur riche des
essences d’hier. Cette flambée le réchaufferait, tandis qu’il s’installerait
sur la chaise basse près de l’âtre, approchant la toupine de soupe et
contemplant ce spectacle sans cesse renouvelé du ballet des flammes et des
fumées. Alors le jour pourrait aller se coucher, laissant place à la nuit
étoilée, lui fermerait ses volets, regarderait dans la carte des étoiles la météo du lendemain, puis s’en
irait rejoindre sa chambre et le vieil édredon de plumes, les oiseaux d’ici ne
sont pas des oiseaux de nuit, c’est le jour qu’ils volent, dès l’aube et ses
belles couleurs, heureux de vivre dans ces décors immenses et sans cesses
renouvelés par la simple magie des lumières naturelles… Douce nuit.
1 commentaire:
Douce nuit....
Natacha
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