Le
jour se lève à peine et déjà le soleil colore de teintes orangées les vieilles
pierres de l’enceinte. Il aimait profiter de ces instants tellement uniques où
la lumière croit, où la vie s’éveille, où marcher devient une cueillette des
énergies subtiles. Le silence de la nuit laisse place à l’éveil du jour,
oiseaux, animaux des fermes voisines exprimaient tour à tour leur bonjour.
L’humidité commençait sa lente évaporation distillant aux passages les huiles
essentielles des plantes des lieux. Il marchait d’un pas régulier, cherchant
inconsciemment les parcours déjà au soleil, il était bon de ressentir cette
timide chaleur caresser son corps. Plaisirs simple de la vie, une vie qui
pouvait sembler austère, la faute sans doute à l’habillage, des vieilles
murailles de pierres tout autour, la faute aux raccourcis qu’empruntent trop
souvent les gens. Il est vrai que la simplicité des lieux, le cadre, éloigné
des gros bourgs, la vie quasi monacale n’inspirait pas la folie mais ce n’était
pas pour autant une vie de prostration.
Vivre
ici, c’est respirer l’air du temps, c’est accorder son diapason avec la nature,
lire dans le grand calendrier céleste les heures de lever du jour tout autant
que les déclinaisons de la lune, c’est apprendre les plantes, celles d’ici,
leurs parfums, leurs rôles, leurs secrets, c’est aussi apprendre à cultiver les
autres, légumes simples qui seront les bases de l’alimentation, c’est aussi et
surtout cette joie de l’offrande, du partage qu’augurent ces plantes :
apprendre des autres et apprendre aux autres, qu’il s’agisse de cultiver, de
cueillir, de soigner, de goûter aussi, mille et une recettes simples et
efficaces, mille et une saveurs, délicats assemblages d’herbes, de fruits et de
légumes, une touche de miel, une pointe d’épice, une alliance de parfums pour
éveil des papilles gustatives. Comment pourrait-il s’ennuyer ? Les
journées se décomposent toujours entre temps de travaux extérieurs, bricolages
et méditation, ponctués de cuisine, de soins et de traitements, de lectures
aussi et aussi de marche, longues marches à travers les paysages d’ici. Il n’y
avait ni rituel, ni obligation, ni partage régulier du temps, juste une vie et
ses cycles, besoins élémentaires de l’Homme : dormir, manger, se
construire.
Pourquoi
diantre rechercher l’extraordinaire lorsque l’ordinaire à lui seul suffit à y
puiser mille richesses et mille raisons de vivre ? Paradoxe des Hommes, ce
qui plait est ce qu’ils n’ont pas, peut-être même jusqu’au jour où ils le
possèdent. Au fond, l’attente représente le désir, l’accomplissement un
résultat, un moment suspendu entre deux plaisirs, celui d’avoir espéré avoir et
celui de désirer à nouveau avoir autre chose, oui, c’est cela, les Hommes sont
possédés par leurs possessions, non pas tellement par le fait de posséder mais
par la soif de désir de posséder. Une maison a-t-elle besoin de plusieurs
portes ? Non, ni même de plusieurs pièces à vivre, l’espace clos où l’on
se retrouve nécessite juste un peu de chaleur, un endroit où se poser,
confortablement, pour échanger, partager, vibrer ensemble, un moment de
communion, comme un même élan de prière, sans code imposé, sans restriction,
sans règle si ce n’est l’humilité. Celui qui n’a qu’une fleur à offrir est-il
moins important que celui qui peut
offrir un bouquet tout entier ? Une fleur toute seule, brille par
son humilité, sa fragilité, elle se retrouve ainsi exposée aux regards, sans se
cacher derrière un bouquet. Il est plus important d’accorder son écoute à un
chuchotement plutôt que d’entendre mille sons de clairons. Les secret naissent
dans le silence des chuchotements, ils sont fragiles, quasi immobiles et
n’osent pas prendre leur envol. Voilà pourquoi sa porte est ouverte, voilà
pourquoi, ces minutes où le jour nait à peine sont si bonnes à vivre, voilà pourquoi
se remplir d’énergies dès le matin est une chose importante et vitale. Voilà
pourquoi, ce matin, comme chaque matin, il sourit à la vie. Voilà pourquoi, ce
matin, en regardant la pierre perdre sa teinte orangée, il se dit « c’est
aujourd’hui l’aube d’un nouveau jour, et ce jour nouveau, il nous
appartient à chacun d’entre nous d’en faire un nouveau jour ». Et c’est
avec sourire qu’il contempla ce vieux portail rouillé à demeure ouvert, au
fond, qui sait seulement où est la clé ?
La
clé ? Quelle clé ?
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